L’Anti-Terre et les Fantômes du Système Solaire

Le système solaire n’a pas toujours eu la même apparence. Ou plutôt, on a pu penser, parfois à tort, qu’il avait accueilli d’autres membres. Et ce ne sont pas que des délires fantaisistes ou complotistes ! Certains de ces fantômes ont vu leur existence conjecturée par des scientifiques renommés, et certains ont effectivement pu exister, à une époque lointaine. Partons ensemble à la découverte de ces planètes ou lunes qui soit n’ont jamais été, soit ont cessé d’exister en tant que tel il y a bien longtemps… 

L’Anti-Terre

Les philosophes pythagoriciens de la Grèce antique, au 5ème siècle avant J-C, ne recouraient pas au géocentrisme ou à l’héliocentrisme pour expliquer les étranges mouvements des planètes et, à la place, il faisait tourner le Soleil, la Lune et la Terre autour d’un « grand feu ». Pour équilibrer ce système, il postulait l’existence d’Antichthon, une autre Terre qui aurait été à l’opposé de notre monde dans son mouvement autour du « grand feu ». Évidemment les observations de Galilée et des autres astronomes après lui ont infirmé ce modèle, mais cette « Contre-Terre » s’est maintenue dans l’imaginaire collectif, notamment à travers la fiction mais aussi dans les théories du complot. 

L’idée serait qu’une autre planète existerait sur la même orbite que la Terre mais serait constamment cachée par le Soleil ; certains l’imaginent même se trouvant au point de Lagrange L3. Malheureusement (ou heureusement ?), cette explication ne tient pas. Les équations de Kepler et de Newton interdisent la persistance d’un si gros corps à cet endroit sans qu’on le remarque. Le point de Lagrange L3 est en effet instable, même pour de petits astres. De plus, La vitesse orbitale d’un astre n’est pas constante : la Terre « accélère » et « ralentit » selon qu’elle approche ou s’éloigne du Soleil sur son orbite légèrement elliptique et si elle existait, l’Anti-Terre ferait de même : par moment, le Soleil ne serait plus entre les deux mondes, et nous nous verrions 1 !

Phaéton 

Ce sont parfois les règles mathématiques nouvellement établies qui sont à l’origine d’hypothèses astronomiques fantaisistes. Ici, c’est la supposée loi de Bode, formulée en 1772, qui est en cause. Le scientifique allemand Johann Elert Bode, se basant sur les travaux d’autres collègues astronomes, postulait que les distances entre les orbites des différentes planètes du système solaire étaient liées par une relation empirique et devaient être proportionnelles. Problème majeur avec cette « loi » : elle prédisait la présence d’une planète juste après l’orbite de Mars. Mais de planète, il n’y avait pas de traces… Du moins jusqu’à la découverte de la minuscule Cérès en 1801, puis celles d’autres astéroïdes dans la même région au cours des années suivantes. 

Un scénario prenait forme : la véritable cinquième planète avait été réduite en charpie, peut-être du fait de l’influence gravitationnelle de Jupiter trop proche. On nomma la planète martyrisée Phaéton, du nom du fils du Soleil ayant fini foudroyé par Zeus après avoir volé le char solaire. Tragique et sublime ! Sauf que… La « loi de Bode » s’est rapidement avérée sans véritable fondement, rendant le postulat de Phaéton injustifié 2… Il existe désormais un consensus astronomique clair au sujet de la ceinture d’astéroïdes : elle ne proviendrait pas de la fragmentation d’un corps planétaire mais constituerait plutôt les restes du disque proto-planétaire à partir duquel se sont formées toutes nos « vraies » planètes. Phaéton n’a donc probablement jamais existé… Sauf dans notre imagination !

Vulcain

Ce sont aussi des mathématiques biaisées qui ont conduit à imaginer l’existence de Vulcain. En 1846, l’astronome français Urbain Le Verrier (un nom qui ne s’invente pas) découvre une huitième planète, Neptune par le seul biais du calcul ; son existence permet d’expliquer de supposées anomalies orbitales d’Uranus. Fort de ce succès, Le Verrier s’imagine pouvoir expliquer les bizarreries orbitales de Mercure avec la même méthode. L’astre hermien aurait en fait été perturbé dans sa course par une planète qui aurait orbité encore plus près du Soleil. En 1859, Le Verrier clama sa certitude quant à son existence, ce qui était raccord avec les observations de petits « corps » passant entre le Soleil et la Terre faites depuis des années. 

Du fait de sa proximité au Soleil, la planète reçut le nom de Vulcain, du nom du dieu romain des forges. Elle aurait été petite, très chaude et, par son emplacement, invisible la nuit. De nombreuses autres observations de son passage devant le Soleil furent annoncées tout au long du 19ème siècle. Las, ce n’étaient en fait que des tâches solaires, comme les observations précédentes 3. Les anomalies orbitales de Mercure demeuraient néanmoins si on se référait uniquement aux équations newtoniennes, mais ce ne fut pas une planète qui permit de les expliquer ; en 1915, la publication de la théorie de la relativité générale d’Einstein se produisit, prédisant entre autre que la masse du Soleil pouvait légèrement déformer l’espace-temps au niveau de Mercure et altérer sa course. Vulcain n’avait jamais existé, sauf dans des suppositions savantes désormais désuètes.    

Neith

Du milieu du 17ème siècle jusqu’à la seconde moitié du 18ème siècle, près d’une dizaine d’astronomes ayant marqué l’histoire de la discipline clamèrent avoir observé un satellite à Vénus. Giovanni Domenico Cassini, scientifique italien ayant identifié plusieurs lunes de Saturne en donna même une description étonnamment précise : la lune de Vénus aurait fait environ un quart de la taille de sa planète et son orbite aurait été très inclinée, presque perpendiculaire à l’écliptique, le plan orbital de toutes les planètes. Des caractéristiques pour le moins spectaculaires ! Malheureusement, les transits de Vénus entre le Soleil et la Terre en 1761 et 1769 ne montrent aucun signe d’une grande lune vénusienne, et les observations s’interrompent après ces évènements 4… 

Dans les années 1880 un astronome belge tenta d’expliquer les observations par l’existence d’une petite planète orbitant en conjonction avec Vénus. L’explication ne convainquit pas, mais le nom choisi, Neith, celui d’une divinité égyptienne créatrice et féroce, resta. Qu’avaient vu tous ces astronomes ? Deux théories ont été avancées : soit il s’agissait d’illusions d’optiques générées par leurs télescopes encore relativement rudimentaires, soit c’étaient simplement des étoiles brillantes visibles à proximité de Vénus au moment des observations. Aujourd’hui, il est officiel que Vénus n’a pas de lune ; en revanche elle a un quasi-satellite, un minuscule caillou (moins d’un kilomètre dans sa plus grande dimension), qui la suit autour du Soleil avec une orbite un peu en forme de haricot. L’Étoile du Berger a donc finalement quelque chose qui lui tourne autour… 

Theia 

La Terre dispose d’une grande lune. Fait incontestable : à quelques exceptions près, il suffit de lever les yeux la nuit pour la voir. Chaque être humain l’a vue plusieurs fois dans sa vie, elle semble éternelle… Mais d’où vient-elle ? La Lune est en effet étrange : elle est proportionnellement très grande par rapport à sa planète, comparée à d’autres lunes remarquables du système solaire. Elle n’a pas pu se former directement à partir des « restes » du disque proto-planétaire qui tournaient encore autour de la Terre après sa formation. D’autant que sa composition chimique est incroyablement proche de celles des roches de notre planète. Les scientifiques pensent donc qu’elle est en fait issue d’un choc entre la Terre et une autre planète, Theia, du nom de la titanide mère de Sélénée, personnification grecque de notre satellite naturel. 

 Visualisez : nous sommes il y a 4,5 milliards d’années. La Terre vient de se former, grosse boule de roche en fusion qui n’a pas encore fini de refroidir. Cependant elle n’est pas seule sur son orbite : au niveau de son point de Lagrange L4 ou L5 s’est également formée une planète moitié moins grande, Theia. Pendant quelques temps, quelques dizaines de millénaires tout au plus, les deux astres continuent leur course conjointe autour du Soleil, mais l’influence gravitationnelle de Vénus ou de Jupiter finit par chasser Theia de son point d’équilibre. Elle « tombe » vers la proto-Terre. L’impact est cataclysmique, projetant en orbite une partie de la matière combinée des deux astres : c’est ce reste qui va s’agglomérer pour former… La Lune. Ce scénario est celui qui explique le mieux la taille, la composition et la configuration orbitale de notre satellite 5

Chrysalis

On a souvent de l’espace cette majestueuse impression d’éternité, d’inaltérabilité… Et pourtant, si certains dinosaures avaient eu des télescopes et les avaient pointés sur Saturne, ils l’auraient peut-être vue sans anneaux ! Laissons de côté la question de savoir si oui ou non T-Rex aurait pu utiliser ses bras pour faire de l’astronomie et penchons-nous sur les anneaux de la sixième planète. Ces structures étincelantes sont faites de millions de petits blocs de glace. Or les modèles prédisent que, en « seulement » 100 à 200 millions d’années, ces glaçons devraient s’assombrir sous l’effet des radiations cosmiques et des poussières stellaires. Or les anneaux de Saturne étincellent encore comme s’ils dataient d’hier !

Il semble donc possible que Saturne n’ait pas disposé de sa parure depuis la naissance du système solaire ! D’accord, mais alors d’où viendraient ces anneaux ? De Chrysalis, une « chrysalide » dont les anneaux seraient le stade « papillon » final ! D’après les astronomes ayant élaboré ce scénario et testé sa crédibilité, Chrysalis aurait été une des nombreuses lunes de Saturne, aurait mesuré entre 1 000 et 1 500 km de diamètre et aurait été essentiellement composée de glace. Peut-être du fait de l’influence de Titan, le plus massif satellite de Saturne, Chrysalis aurait pu se retrouver « déviée » et « tomber » lentement vers Saturne. À un certain point, elle aurait atteint la limite de Roche, ce point auquel la gravité interne d’un corps ne peut lutter contre les forces gravitationnelles extérieures : Chrysalis se serait désagrégée, laissant derrière elle les spectaculaires anneaux 6

Le « Parricide »

On aime en parler (enfin en tout cas ici, sur Avec Un Grain De Sel) mais il n’a de nom nulle part ! Ce serait cet objet qui serait responsable de la majorité des bizarreries troublantes que présente Uranus ! L’inclinaison improbable de la planète, qui semble « rouler » sur son orbite au fil de ses jours, son intérieur très peu actif, tout son cortège d’anneaux et de satellites suivant le même plan… Tout ça, ce serait lui ! Nous avons pris la liberté de le nommer le « Parricide » pour son rôle assez chaotique dans le destin d’Uranus. Dans la mythologie greco-romaine après tout, Uranus finit déchu par son fils Saturne, qui lui-même finit déposé par Jupiter ; on reste dans le thème. Sans compter que les lunes d’Uranus sont pour beaucoup nommées d’après Shakespeare, et que les pièces du dramaturge anglais ne manquent pas non plus d’assassins de leurs pères. 

Quel serait le portrait robot du suspect, et quel aurait été son mode opératoire ? D’après les astronomes, le coupable qui aurait forcé Uranus à se coucher aurait été un corps rocheux de grande taille, peut-être même aussi grand que la Terre ! Il y aurait de cela 3 à 4 milliards d’années, ce tueur se serait approché dangereusement près d’Uranus. L’ancien scénario avance qu’il l’aurait heurtée à un angle plus ou moins rasant, le nouveau qu’il se serait contenté de lui tourner autour avec insistance avant de s’enfuir 7. Dans tous les cas, l’évènement aurait arraché à Uranus une majorité de son énergie interne, envoyé boulé son axe de rotation et complètement détruit son système d’anneaux et de lunes originel. Les « quelques » débris ayant échappé à la catastrophe se seraient mis à tourner autour de la planète en suivant son nouvel axe de rotation, et une nouvelle génération d’anneaux et de lunes en serait née, celle que nous connaissons actuellement… 

Hades / Liber / Mephitis 

Il manquerait un membre majeur au système solaire. Au lieu de quatre géantes, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, nous devrions en avoir cinq. Ou plutôt, il pourrait y en avoir eu cinq lors de la naissance du système solaire. C’est en tout cas la conclusion à laquelle arrivent les astronomes travaillant sur le modèle de Nice (Oui, Nice la ville française !). Ces scientifiques s’attèlent depuis des années à des simulations informatiques extrêmement complexes pour expliquer la configuration actuelle du Système Solaire. Ils sont d’ailleurs déjà parvenus à la conclusion que Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune ont dû se former plus proches du Soleil qu’elles ne le sont maintenant pour atteindre de telles tailles ! Cependant, après seulement quelques millions d’années, tout s’emballe : Jupiter et Saturne entrent en résonance orbitale (Saturne fait exactement deux tours du Soleil quand Jupiter en fait un) et cela perturbe gravement toutes les orbites du système solaire. 

Ce scénario permet d’expliquer en bonne partie la configuration actuelle du système solaire, après que tout se soit tassé. Cependant, les localisations de certains corps du système solaire, notamment au-delà de Neptune, ne collent pas dans ce modèle. Les astronomes ont donc revu leur copie, et il apparait que, en ajoutant une cinquième géante de masse intermédiaire entre Saturne et Neptune, on arrive à un résultat plus conforme à ce que nous observons actuellement 8. Super ! Mais alors, où est passé cette cinquième géante ? Le grand bazar des résonances orbitales pourrait très bien l’avoir repoussée dans les confins du système solaire, où elle constituerait une neuvième planète encore à découvrir. Ou alors elle pourrait même avoir été entièrement éjectée du système solaire pour toujours, devenant une planète errante perdue entre les étoiles… Les scientifiques ne lui ont pas donné de nom dédié, mais ceux d’Hadès (dieu grec du monde souterrain des morts), de Liber (traduction latine de Dionysos) et Mephitis (déesse romaine de la pestilence) ont circulé !  

1   https://thescienceof.org/could-a-counter-earth-exist/

2   https://www.guide-to-the-universe.com/planet-phaeton.html

3   https://www.iflscience.com/planet-vulcan-the-lost-19th-century-world-einstein-erased-from-our-solar-system-70109

4   https://solarviews.com/eng/hypothet.htm#neith

5   https://www.popularmechanics.com/space/moon-mars/a39454249/how-was-the-moon-formed/

6   https://www.newscientist.com/article/2337884-saturns-rings-could-have-come-from-a-destroyed-moon-named-chrysalis/

7   https://time.com/6220649/why-uranus-has-a-tilted-orbit/

8   https://www.universetoday.com/155923/did-a-5th-giant-planet-mess-up-the-orbits-of-jupiter-saturn-uranus-and-neptune/