Neptune et Triton, Entités des Profondeurs

Neptune, huitième planète du système solaire par degré d’éloignement à notre étoile, est un monde extrêmement éloigné. Tellement éloigné qu’il nous est totalement invisible à l’œil nu. D’ailleurs il n’a pas pu être découvert par hasard, et ce fut grâce au calcul, à partir de supposées incohérences dans les données orbitales d’Uranus, que la position de Neptune fut prédite par les astronomes du XIXème siècle. Presque immédiatement après, ils lui observèrent également un très grand satellite, Triton. L’unique visite de leur système par un engin humain, celle opérée par la sonde Voyager II en 1989, nous a permis d’en savoir un peu plus sur ces astres fascinants. 

Une géante glacée et colérique 

Neptune est une « géante glacée », comme Uranus. Elle se compose essentiellement d’hydrogène et d’hélium auxquels s’ajoutent des quantités notables d’eau, d’ammoniac et de méthane. Ce serait d’ailleurs à cette dernière substance que la planète nommée d’après le dieu des mers devrait au moins en partie sa couleur bleue intense. Mais pour aussi frappante qu’elle soit visuellement, cette caractéristique n’est pas la seule qui soit remarquable au sujet de Neptune : 

  1. Neptune orbite très loin du Soleil, à plus de 30 unités astronomiques en moyenne, soit plus de 30 fois la distance moyenne entre la Terre et son étoile. Il lui faut 164 de nos années pour faire le tour complet de son orbite ; depuis sa découverte en 1846 elle n’a donc bouclé qu’un peu plus d’une seule révolution autour du Soleil ! 
  2. À cette distance, Neptune reçoit des centaines de fois moins d’énergie que nous sur Terre, et le sommet de ses nuages est extrêmement froid, avec – 218°C. Pour aussi extrême que cette température puisse paraître, elle est tout de même plus élevée que ce à quoi s’attendaient les astronomes. Elle serait due à l’activité interne de Neptune.
  3. L’atmosphère de Neptune apparaît d’ailleurs particulièrement active, avec une grande tache bleue qui n’est pas sans rappeler celle, rouge, de Jupiter et des systèmes de nuages visibles à des milliers de kilomètres de distance. Les vents les plus violents jamais mesurés dans le système solaire soufflent également dans la haute atmosphère de Neptune : plus de 2100 km/h, plus que la vitesse du son sur Terre au niveau de la mer !
  4. De façon contre-intuitive au premier abord, Neptune est légèrement plus petite qu’Uranus avec 49 000 km de diamètre mais tout de même 18% plus massive que cette dernière. En fait ce ratio étonnant est dû à une compression plus forte résultant de sa masse plus élevée
  5. Le champ magnétique de Neptune, tout comme celui d’Uranus, ne passe pas directement par le centre de la planète. Ce constat fait subodorer que, dans les géantes glacées, le champ magnétique ne se forme pas directement dans le noyau mais plutôt dans le manteau 1

Outre ces caractéristiques fascinantes, Neptune dispose de fins anneaux. Enfin, « anneaux » serait un bien grand mot pour ce qui s’avérerait plutôt être des « arcs » ; ces matériaux très sombres en orbite autour de la planète auraient des concentrations très disparates et ne formeraient pas des cercles complets. De toute façon, ce ne sont pas eux qui méritent le plus attention dans ce qui tourne autour de Neptune… 

Un satellite vraiment unique 

Le trait le plus étonnant de Neptune, ou plutôt du système neptunien, est son plus grand satellite, Triton. Méconnu du grand public, ce corps céleste fascine les astronomes depuis des années et fait l’objet de nombreuses spéculations. Il faut dire que ses caractéristiques le rendent vraiment unique, même en comparaison d’autres grands satellites très étranges. Voyons ensemble toutes ses étrangetés : 

  • Triton est, avec ses 2 710 km de diamètre environ, la septième plus grande lune de notre système solaire, après Ganymède, Titan, Callisto, Io, la Lune et Europe. Elle est également la septième plus massive. 
  • Triton est suffisamment grande et massive pour que, en conjonction avec les forces de marées auxquelles elle est soumise, elle se soit différenciée entre noyau ferreux, manteau rocheux et croûte de glace d’eau. Un océan d’eau liquide existe sans doute d’ailleurs sous sa surface, entre son manteau et sa croûte ! Plusieurs signes en ont été repérés lors du passage de Voyager II en 1989 : sa surface est géologiquement jeune et des geysers s’en élèvent ! Triton fait donc une candidate potentielle pour la recherche de vie extraterrestre !
  • Triton domine donc tout ce qui tourne autour de Neptune : aucune autre lune n’y est assez grande pour avoir une forme sphérique. En fait Triton représente plus de 99% de la masse en orbite autour de Neptune. Triton est même le second plus grand et plus massif satellite par rapport à sa planète, la première place revenant à notre Lune
  • Triton orbite très près de Neptune, à une distance légèrement moindre que celle que suit la Lune autour de notre planète. De plus, Triton se rapproche (très) lentement de Neptune au fil du temps : dans 3,6 milliards d’années environ, elle atteindra une distance critique sous laquelle soit elle s’écrasera sur Neptune, soit elle se brisera pour former un système d’anneaux peut-être similaire à celui de Saturne
  • Triton tourne autour de Neptune dans le sens rétrograde et sur un plan très incliné. Elle est la seule grande lune connue du système solaire à le faire. Cela indique qu’elle n’a pas pu se former en orbite autour de Neptune, sans quoi elle suivrait le sens de rotation de la planète et se trouverait sur son plan équatorial. Elle a donc dû être « capturée » par Neptune, et cette capture a vraisemblablement chassé ou détruit les satellites « originaux » qui devaient exister en orbite autour de la planète auparavant 2
  • Triton devait donc tourner autour du Soleil avant d’être capturée par Neptune. Elle occupait sans doute une place similaire aux planètes naines telles que Pluton dans la Ceinture de Kuiper, ce vaste tore de petits corps glacés situé au-delà de l’orbite de Neptune. Comme beaucoup de plutinos, Triton disposait sans doute elle-même d’un grand satellite, et sa présence a probablement facilité sa capture par Neptune, comme le prédisent les lois gravitationnelles et orbitales.

Des mystères persistent au sujet de Triton : quand a-t-elle été capturée par Neptune, à l’aube du système solaire ou plus récemment, géologiquement parlant ? Son océan sous-glaciaire serait-il propice à l’apparition de formes de vie, même simples ? Ce monde lointain et arche hypothétique est-il vraiment condamné à une destruction cataclysmique dans un avenir lointain ? Autant de questions qui resteront encore longtemps sans réponses claires, Neptune et Triton étant tellement éloignées qu’aucune agence spatiale n’envisage de les explorer prochainement… 

1  https://www.universetoday.com/151135/both-uranus-and-neptune-have-really-bizarre-magnetic-fields/

2   https://news.ucsc.edu/2006/05/867.html