Mercure, messagère d’antiques tumultes

Avez-vous déjà entendu parler de Mercure ? Non je veux dire, autrement que pendant vos cours de physique-chimie du collège ? La planète la plus proche de notre Soleil attire rarement l’attention du grand public, pour plusieurs raisons, mais elle ne manque pas de bizarreries. Elle pourrait même être la clé des mystères de la jeunesse du système solaire… 

Un petit monde vraiment étrange… 

Mercure a été observée dès l’Antiquité ; son nom en français moderne est aussi celui de la divinité romaine au pied leste servant de messager aux dieux. N’étant visible qu’au soir ou au matin avec un horizon très dégagé, la planète a cependant moins attiré l’attention que nos autres voisines… Et pourtant, un portrait singulier de Mercure se dessine à notre époque… 

  • Mercure boucle une orbite autour du Soleil en 88 jours terrestres mais met 176 jours terrestres à compléter une rotation sur elle-même
  • Mercure est donc dans une résonance orbite-rotation 3:2 : elle effectue 3 rotations sur elle-même toutes les 2 orbites complétées. Il en résulte, de façon contre-intuitive, qu’il semblerait à une personne à sa surface que 2 journées locales se sont écoulées en une seule « année » locale. 
  • Mercure a une orbite très excentrique : la trajectoire qu’elle suit autour du Soleil n’est pas circulaire et forme en fait une ellipse. Avec une excentricité de 0,205 (0 correspondrait à un cercle parfait et 1 à une droite) elle passe de 70 à 46 millions de kilomètres de distance du Soleil durant sa brève année !
  • Mercure est très petite, avec un diamètre de 4 880 km, mais son noyau interne ferreux est proportionnellement énorme puisqu’il occuperait jusqu’à 57% de son diamètre (à comparer aux 17% que tiendraient le noyau interne terrestre sous nos pieds). 
  • La surface de Mercure, outre ses nombreux cratères d’impact, est parcourue en long en large et en travers de « plis » géologiques étranges nommés rupes par les astronomes. Ceux-ci indiqueraient que la planète se « contracterait » progressivement, du fait du refroidissement de son noyau !

Toutes ces caractéristiques bizarres peuvent s’expliquer ensemble par un scénario déroutant 1 : Mercure serait née plus grande, dans une région plus éloignée du Soleil, mais aurait subi un « contact » (ou plutôt un impact à un angle rasant !) avec une autre planète peu après sa formation. Cet évènement aurait arraché la majorité de son manteau rocheux (lui laissant un énorme noyau)… Avant de l’envoyer bouler avec une lente rotation sur une orbite excentrique très proche du Soleil. Cela étant, d’autres explications possibles 2 ont également émergé, et il devient difficile de trouver la bonne sans aller faire de plus amples recherches sur place… 

… Et très difficile à atteindre !

Mieux comprendre les caractéristiques de Mercure pourrait donc nous permettre de mieux déduire la jeunesse tumultueuse du système solaire. De quoi justifier l’envoi d’autres sondes vers ce petit monde qui, sans atmosphère, est surchauffé de jour (425°C) et glacial de nuit (-180°C). Sur le papier, un tel projet d’exploration semble faisable puisque, après tout, Mercure est la planète la plus proche de la Terre la majorité du temps ! Eh oui, Vénus et Mars passent certes plus proche de nous sur leurs orbites respectives, mais s’éloignent aussi beaucoup plus de nous en passant de l’autre côté du Soleil… 

Et pourtant, Mercure est la moins visitée des planètes du Système Solaire interne : au moment de l’écriture de cet article (fin 2023) seules deux sondes l’ont visitée, Mariner 10 le temps de trois survols et MESSENGER qui a pu se satelliser autour d’elle. Enfin heureusement, une troisième mission est en route pour faire de même, BepiColombo. Pourquoi un tel manque d’ambition, alors que Mars a fait l’objet de près de 48 missions 3, certes pas toutes fructueuses ? Les raisons, outre culturelles, sont aussi de nature physique 4

  • Problème : Mercure est très, très proche du Soleil, et le Soleil est énorme par la taille mais aussi par la masse : n’importe quel engin envoyé depuis la Terre en direction de Mercure en ligne droite passerait directement sous l’influence gravitationnelle de notre étoile à son approche, et deux options malaisées s’imposent pour éviter ce cas de figure…  
  • Solution n°1 : emmener énormément de carburant, afin de ralentir à l’approche de la planète et d’être « happé » par sa gravité largement inférieure. Les ingénieurs aérospatiaux ont calculé que cette option exigerait que la sonde emmène plus de combustible que si elle était à destination de Pluton… 
  • Solution n°2 : survoler plusieurs fois d’autres planètes, notamment Vénus, et profiter de leur propre gravité pour se ralentir au point de se satelliser autour de Mercure sans la dépasser ni être happé par le Soleil. Des manœuvres très précises, très complexes et très longues : BepiColombo, qui doit arriver à destination en 2025 (on croise les doigts !), a été lancée en 2018 et doit effectuer durant son voyage pas moins de 10 survols avant de se satelliser autour de sa destination !

Dans ces conditions, Mercure ne risque pas de devenir la prochaine destination de prédilection pour les voyages spatiaux habités… On espère que BepiColombo et ses éventuelles successeuses robotisées nous aideront à mieux comprendre ses bizarreries, pour assouvir notre curiosité !

1   https://www.space.com/26447-mercury-composition-giant-impact.html

2  https://www.space.com/mercury-weird-because-of-jupiter-outer-planets

3  https://mars.nasa.gov/mars-exploration/missions/historical-log/

4   https://www.esa.int/Science_Exploration/Space_Science/BepiColombo/Three_reasons_why_we_know_so_little_about_Mercury