Nous, importants ? Du géocentrisme à l’héliocentrisme

Qui ne s’est jamais imaginé être le centre du monde, surtout dans son enfance ? Il en alla de même pour toute l’humanité en rapport avec l’univers autour d’elle ! Certaines prises de conscience sont cependant plus dures que d’autres quand on grandit, et le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme ne fut pas un processus linéaire, éclairé et sans déni…

Les savants de culture grecques de l’Antiquité avaient acquis des savoirs d’une remarquable précision pour l’époque. Par exemple, Érastothène parvint dès le IIIème siècle avant notre ère à démontrer que la Terre était sphérique et à calculer sa circonférence, à quelques kilomètres près 1. En revanche, concernant le mouvement des astres autour d’elle, leurs modèles restèrent incorrects, limités par leurs capacités d’observation. Au IIème siècle av. J-C, Claude-Ptolémée expliquait le mouvement des planètes et du Soleil par le fait que la Terre elle-même devait être fixe et immobile. Certaines voix s’élevèrent contre ce modèle géocentrique, notamment celle d’Aristarque de Samos, mais d’après le peu de sources qu’il nous reste, son alternative héliocentrique ne rencontra pas beaucoup d’échos, faute de pouvoir être vérifiée 2

L’explication la plus simple : paresse ou facilité ? 

Le modèle de Ptolémée avait en effet un double avantage :  il arrivait à prédire avec une relative fiabilité la position des planètes et il se conformait à une cosmologie postérieure, celle des chrétiens, qui plaçait l’homme au centre de l’univers visible par la volonté de Dieu. Bien sûr, cette « vérité » ne fut pas partagée partout, et d’anciens ouvrages d’astronomie indiens semblent au moins faire allusion à une forme d’héliocentrisme 3. De même, entre les Xème et XIIème siècles, de nombreux savants arabes et perses notèrent que, malgré les épicyles complexes (des « boucles » que décriraient les planètes sur leurs orbites) utilisés dans le modèle ptolémaïque pour expliquer mathématiquement le mouvement des planètes, les équations géocentriques présentent des incohérences et des discontinuités. Leurs doutes, exprimés avec prudence et sans non plus remettre complètement en cause la place centrale de la Terre, alimenteront les réflexions conduisant à la naissance de l’héliocentrisme 4, une fois leurs ouvrages traduits en Occident…

Ayant lu certains de ces travaux, le chanoine et érudit polonais Nicolas Copernic développa petit à petit une « alternative héliocentrique », dans laquelle le Soleil était au centre de l’univers et la Terre tournait autour de lui, comme les autres planètes, tout en tournant sur elle-même. L’exactitude de cette « alternative » était cependant difficile à prouver à l’époque (il n’y avait pas encore de télescopes…), et en homme d’église, Copernic savait en plus que sa théorie allait à l’encontre du dogme chrétien. L’ouvrage résumant ses travaux ne fut publié qu’à titre posthume en 1543 et se gardait de proclamer l’héliocentrisme comme véritable. Les réactions furent limitées : certains cardinaux trouvèrent la théorie stimulante, tandis que des figures du protestantisme naissant comme Martin Luther et Jean Calvin la condamnèrent. Pendant une soixantaine d’années, la « révolution copernicienne » ne provoqua presque pas de remous religieux 5.

D’autres savants en revanche entendirent montrer que Copernic avait tort et corriger le modèle ptolémaïque pour prouver que le géocentrisme était réel. En 1587, le danois Tycho Brahe proposa son propre modèle, le modèle « tychonique ». Observateur pointilleux, Brahe ne pouvaient croire, pour des raisons religieuses mais aussi paradigmatiques, que la Terre bougeait ; la physique newtonienne n’existait pas encore, et c’était les préceptes aristotéliciens qui prédominaient, certifiant que les « sphères célestes » (Soleil et planètes) étaient faites d’une substance légère (l’« éther ») bougeant d’elle-même, contrairement à la Terre, lourde et inerte. Ainsi, même si dans le modèle tychonique les autres planètes tournaient bien autour du Soleil, celui-ci tournait encore autour de la Terre, qui restait donc le centre de l’univers 6. Et tout cela concordait encore avec la quasi-totalité des observations…

À gauche, le modèle géocentrique ptolémaïque ; les petits cercles placés sur les orbites des planètes sont les épicycles, censés être suivis par les « astres errants » en tournant autour de la Terre et expliquer le mouvement rétrograde apparent . Au centre, le modèle héliocentrique copernicien. À droite, le modèle géocentrique tychonique ; les planètes tournent autour du Soleil, mais celui-ci tourne autour de la Terre. 

Moins une question de science que de volonté : voir au-delà des faits considérés comme établis

Dans les années 1590, un certain Giordano Bruno alla plus loin que les théories coperniciennes. Cet ecclésiaste catholique converti au protestantisme affirma que non seulement la Terre et les autres planètes visibles tournaient autour du Soleil, mais aussi que les étoiles du ciel nocturne étaient des soleils ayant leurs propres planètes et que ces dernières auraient eu leurs habitants, impliquant de fait que l’univers n’aurait même pas eu de centre… En dépit de rapports apocryphes contradictoires, ce serait surtout sa croyance en la « pluralité des mondes » qui lui aurait valu d’être condamné pour hérésie par l’inquisition catholique 7. En 1600, il fut pendu par les pieds, nu, et brûlé vif à Rome. Ironie cruelle, sachant que ses déclarations provenaient plus de convictions spirituelles que d’observations astronomiques…

En 1610, grâce au télescope, le (sans jeu de mot !) plus terre-à-terre Galilée observa (indirectement) la rotation des tâches solaires et (directement) les phases de Vénus avant de découvrir que quatre lunes orbitaient autour de Jupiter 8. Il en acquit la conviction que tout se déplaçait dans le ciel, et que les objets les plus petits orbitaient autour des plus grands. Il avança ainsi en 1615 que l’héliocentrisme n’était pas contraire aux Saintes-Écritures, qui dans son raisonnement ne décrivaient pas le monde tel qu’il était réellement mais plutôt métaphoriquement. En 1616, l’église catholique interdit les théories coperniciennes, et en 1633 Galilée, qui n’avait pas abandonné ses vues, fut condamné à vivre en résidence surveillée pour le restant de ses jours.

Le monde protestant n’était cependant pas soumis au même contrôle (même s’il y existait aussi un fort rejet de l’héliocentrisme). Entre 1617 et 1621, l’astronome allemand Johannes Kepler, mathématicien tenace, compara ses observations avec les prévisions obtenus à travers les modèles tychoniques et coperniciens : l’héliocentrisme l’emporta en précision, sous réserve que les orbites planétaires ne soient pas des cercles parfaits mais des ellipses 9. Ses travaux se répandirent ensuite en Europe, devenant de plus en plus acceptés dans les cercles intellectuels, et obtinrent une crédibilité supplémentaire avec la publication par Isaac Newton de Philosophiæ Naturalis Principia Mathematica, qui fournit les assises conceptuelles et mathématiques pour enfin expliquer et prédire les mouvements du Soleil et des planètes. Tout était affaire de gravité, le Soleil « attirant » les planètes autour de lui (pour résumer très simplement).

La lente acceptation que nous ne sommes pas au centre de tout

L’église catholique ne se fit moins dure envers l’héliocentrisme qu’au milieu du XVIIIème siècle, et il faudra encore attendre la première moitié du XIXème siècle pour qu’elle ne lève ses interdictions concernant les écrits de Copernic et Galilée 10. Entre-temps, d’autres astronomes avaient bien mesuré que la Terre se déplaçait, même par rapport aux étoiles lointaines.

Au début du XXème siècle la notion de « galactocentrisme » émergea, avant que ne s’impose enfin l’idée d’un univers « acentrique ». Ces notions n’ont cependant pas eu le même impact car le plus dur était fait : les humains n’étaient déjà plus au centre de tout, et les écritures saintes comme les conceptions anciennes n’avaient plus valeurs de vérités absolues.

1 https://ui.adsabs.harvard.edu/abs/2018EGUGA..20.5417K/abstract

2 https://www.britannica.com/biography/Aristarchus-of-Samos

3 https://en.wikipedia.org/wiki/Aryabhata#Heliocentrism

4 https://www.genealogy.math.ndsu.nodak.edu/id.php?id=126177

5 https://www.csmonitor.com/Technology/2013/0219/Copernicus-and-the-Church-What-the-history-books-don-t-say

6 https://www.chemeurope.com/en/encyclopedia/Tychonic_system.html

7 https://blogs.scientificamerican.com/observations/was-giordano-bruno-burned-at-the-stake-for-believing-in-exoplanets/

8 https://solarsystem.nasa.gov/news/307/galileos-observations-of-the-moon-jupiter-venus-and-the-sun/

9 https://solarsystem.nasa.gov/resources/310/orbits-and-keplers-laws/

10 https://www.aip.org/history-programs/niels-bohr-library/ex-libris-universum/banned-books-week-galileo’s-dialogue