Le plus grand accomplissement de l’humanité ?

Des fictions à la science, il semble que l’espace soit le lieu à travers lequel nous laisserons nos traces les plus durables et les plus à même de croiser autre chose… De fait, nous avons déjà laissé là-haut des objets qui nous survivront des milliers voire des millions d’années. Mais les messages et cadeaux dont nous avons chargé certains ont peut-être plus à nous dire sur nous-mêmes qu’ils n’auront à révéler à d’éventuels découvreurs extraterrestres… 

L’espace, la meilleure glaciaire possible

L’espace est un lieu hostile à la vie telle que nous la connaissons, mais les objets inertes peuvent s’y conserver bien plus longtemps que sur Terre. Ici-bas, les actions combinées de la pluie, du vent, des variations de températures, des plantes, champignons et animaux ainsi que les tremblements de terre et les éruptions volcaniques mènent une guerre sans merci à toutes nos créations. Si tous les humains devaient disparaître d’un seul coup, l’essentiel de nos objets et infrastructures disparaîtraient en quelques dizaines de milliers d’années grand maximum, ne laissant plus que de rares traces difficilement interprétables ou même trouvables 1

Dans l’espace, l’absolue majorité des éléments mentionnés plus haut cessent d’avoir cours. Sauf à se faire heurter par un micro-météore, évènement statistiquement rare, un objet inorganique (métal, minéral…) restera inaltéré pour très, très longtemps. Il en ira ainsi par exemple pour certains de nos satellites aux orbites très hautes, qu’aucune friction atmosphérique ne ralentit et fait descendre. C’est le cas des satellites LAGEOS 2, qui doivent tourner autour de notre planète pour au moins 8 millions d’années ! La préservation s’appliquera également à ce que nous avons déjà laissé à la surface de la Lune et sans doute de Mars, à condition que nous ne les dérangions pas nous-mêmes dans le futur. De là à imaginer que des extraterrestres puissent les trouver…

Des messages très limités…

L’hypothèse fut sérieusement considérée avec les premières sondes qui, suivant leurs trajectoires pour survoler Jupiter et Saturne, finiraient par sortir du système solaire. Pioneer 10 et Pioneer 11, lancées respectivement en 1972 et en 1973, allaient devenir les premiers objets humains à destination du vide interstellaire. L’idée fut proposée de leur faire porter un message amical, limité à une petite plaque de 15cm sur 23cm afin de ne pas surcharger les sondes. Ces plaques, développées en seulement 3 semaines (l’idée avait été proposée tardivement), devaient représenter la localisation du système solaire et de la Terre en son sein, ainsi qu’un homme et une femme, dont la nudité fit accuser la NASA d’utiliser l’argent du contribuable pour envoyer de la pornographie dans l’espace 3

Néanmoins, le célèbre physicien Carl Sagan fut rappelé à la tâche pour créer une autre « carte postale cosmique » pour les deux sondes suivantes destinées à quitter le système solaire, Voyager 1 et Voyager 2. Cette fois-ci, avec un délai légèrement plus long, sa petite équipe créa le fameux « Golden Record », une collection d’images, de musiques et de paroles gravées sur un disque d’aluminium plaqué or accompagné d’une notice expliquant comment le lire 4. Évidemment, les instigateurs du projet savaient très bien que les chances pour qu’une des sondes Voyager (ou Pioneer) soit effectivement trouvée étaient très faibles, mais l’idée avait quelque chose d’émouvant, avec l’envie de donner de notre monde et de nous-mêmes une idée vibrante… 

… Et perdus à la traduction  

… À condition que celle-ci puisse être comprise. La cinquième de nos sondes qui va quitter le système solaire, New Horizons, lancée en 2006 et ayant croisée Pluton en 2015, contient elle aussi plusieurs artefacts humains et notamment des données numérisées. Seulement, celles-ci, sans aucune notion du code informatique utilisé (aucune notice n’est présente à bord), resteront sans doute à jamais indéchiffrables 5. D’ailleurs, au lieu de la diversité du « Golden Record », le contenu culturel de New Horizons ne provient que des États-Unis… Il en dit finalement plus sur l’ego de ses expéditeurs particuliers que sur l’ensemble de notre espèce… Et sans se soucier vraiment de son potentiel destinataire. 

Le même constat peut être fait au sujet du « Golden Record » : ses créateurs n’y ont par exemple pas inclus d’images de guerres et de violences, alors que celles-ci sont des composantes assez répandues de la nature humaine… De plus, même si son format analogique rend sa lecture « directe » plus aisée, le « Golden Record » a de grandes chances de laisser confus même les extraterrestres les plus avancés : à quoi correspondent vraiment ces images diverses et variées, ces sons étranges 6 ? Le message pourrait même être interprété de façon ridicule ou belliqueuse 7… Au final, le peu de savoir que d’hypothétiques aliens pourraient tirer de nos sondes se trouverait plus dans leur conception même que dans leur chargement culturel… 

Doit-on blâmer les créateurs des plaques des Pioneer des disques d’or des Voyager ? Non ! Leur but était aussi de montrer que, à son meilleur, l’humanité était non seulement capable d’envoyer des engins relativement complexes dans l’espace, mais aussi de se présenter sous un jour aimable et émouvant. Un beau testament à livrer au cosmos…

1   https://www.sciencefocus.com/science/if-humans-became-extinct-how-long-would-it-take-for-all-traces-of-us-to-vanish

2   https://www.eoportal.org/satellite-missions/lageos

3   https://www.todayifoundout.com/index.php/2020/11/the-cosmic-postcard/

4   https://voyager.jpl.nasa.gov/golden-record/

5   https://slate.com/technology/2018/12/new-horizons-solar-system-message-aliens-extraterrestrials.html

6   https://www.atlasobscura.com/articles/voyager-golden-record-confusing

7   https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0265964621000321