Combien ça coûte, concrètement, d’aller dans l’Espace ?

L’espace a cette aura de majesté, de mystère et de potentiel illimité… Mais encore faut-il avoir les moyens d’y aller ! En l’état actuel des choses, nous disposons d’une technologie éprouvée pour atteindre cet objectif. Cependant, son apparente relative facilité d’utilisation cache un prix matériel et financier exorbitant. L’infini de l’univers, un espace réservé seulement à de rares privilégiés ? Voyons l’état de l’offre et de la demande pour quitter le plancher des vaches ! 

Être motivé pour faire quelque chose c’est bien, mais il faut aussi savoir comment le faire ! Car ce n’est pas tout d’avoir le goût du dépassement de soi, encore faut-il s’en donner les moyens ! Concernant l’espace, de grands visionnaires ont imaginé très tôt que nous pourrions non seulement y aller, mais également comment le faire ! Les pistes étaient là depuis le début de la révolution scientifique : Newton déjà, dans son fameux ouvrage sur les principes universels 1, nous invite à imaginer un canon au sommet d’une montagne. Si le canon est assez puissant, alors son boulet échappera à la gravité terrestre et restera dans l’espace !

Si le premier théoricien de la gravitation l’avait envisagé, alors le gros canon devait être la solution ! Jules Verne 2 et H.G. Wells 3 reprirent l’idée pour leurs romans respectifs, imaginant ainsi de façon un minimum crédible des humains allant de la Terre à la Lune ou des Martiens tentant de nous envahir. Il existait cependant un problème fondamental avec la méthode du canon, comme le perçut immédiatement le théoricien Constantin Tsiolkovsky (encore lui !) : la poussée exercée par le coup de canon serait telle qu’elle tuerait sur le coup les occupants d’un éventuel obus géant habité. Il fallait donc trouver une autre alternative, quelque chose qui puisse fournir une poussée suffisante pour s’arracher à l’attraction terrestre sans réduire sa charge utile en bouillie. 

Quelques principes de base

L’espace au-dessus de nos têtes n’est pas bien loin, selon la définition communément admise : la ligne de Kármán 4, au-delà de laquelle plus aucun avion ne peut assurer sa portance tant l’atmosphère est fine, est fixée à 100km d’altitude. Une altitude que l’on peut facilement atteindre avec un ballon plus léger que l’air 5 ou, si l’on veut y être plus vite, un engin à réaction. Celui-ci peut s’y rendre à toute vitesse en suivant la 3ème loi de Newton : quand une poussée s’exerce dans un sens alors ce sur quoi elle s’exerce subit une poussée en sens inverse. Si on veut envoyer 1kg de charge utile à cette hauteur, la combustion de 1kg de dérivé de pétrole suffit !

Seulement… Tout objet envoyé à cette hauteur de cette façon finira par retomber. Pourquoi ? Du fait de l’attraction de la Terre ! On a deux options pour qu’un objet « reste » là-haut après son envoi : soit on le met en orbite, soit on le fait se libérer complètement de l’attraction terrestre. Un objet en orbite est en gros un objet qui tombe de côté ; il tombe seulement trop vite pour jamais toucher l’objet qui l’attire à lui (et encore). Cette vitesse de chute « idéale », ou vitesse orbitale, est de 6,9 à 7,8km/s pour la Terre selon l’altitude à laquelle doit orbiter l’objet envoyé. De même, si on veut que notre astronef se libère de l’attraction terrestre, on doit lui faire atteindre la vitesse de libération de 11,186 km/s (40 270 km/h). 

Une fusée envoyée depuis le sol est non seulement entravée dans sa prise de vitesse par la friction avec l’atmosphère mais aussi et surtout par son carburant même. Pour atteindre des vitesses telles que celles nécessaires à la mise en orbite ou à la libération, il faut beaucoup de combustible ; or le combustible n’est pas brûlé tout d’un coup (comme dans les canons de Newton, Vernes ou Wells) mais progressivement, tout au long de la montée. Il faut donc emmener du combustible pour soulever le combustible qui sera utilisé plus tard… Le ratio entre charge utile et combustible explose. Par exemple, la fusée Saturn V ayant emmené Apollo jusqu’à la Lune propulsait dans l’espace jusqu’à 140 tonnes de charge grâce à… plus de 2 660 tonnes de combustibles divers 6 (kérosène, hydrogène liquide…). Sans compter qu’aucun élément n’était réutilisable…

La dure réalité 

Le système a été largement optimisé dès les années 1950 à l’aide d’étages détachables et on a ensuite affiné l’aérodynamique. Cependant la question du ratio reste fondamentalement inchangée, et la taille de ce que l’on peut envoyer dans l’espace reste limitée : si on voulait accélérer une fusée encore plus vite il faudrait soit augmenter la vitesse d’expulsion du propulseur soit augmenter la masse expulsée par le propulseur. Or cette dernière n’augmente que de façon logarithmique, soit extrêmement lentement et au prix de moyens démesurés. C’est le principe de l’équation de Tsiolkovsky… qui limite encore et limitera sans doute toujours l’efficacité des fusées à propulsion chimique classique 7

Du fait des immenses quantités de combustibles, de l’immense taille, de l’extrême précision des appareils requis et de leur usage unique, chaque lancement dans l’espace coûte cher. Horriblement cher, l’industrie spatiale étant elle-même relativement transparente sur le sujet. À l’époque où elle était encore opérationnelle, quelques mois avant la sortie de cet article (début 2024), un lancement d’Ariane 5 à Kourou coûtait environ 178 millions de dollars pour lancer 21 tonnes de charge utile en orbite (essentiellement des satellites), soit 8 476 dollars par kilogramme 8. La réutilisation de certains étages des lanceurs est désormais promue comme une révolution par une grande entreprise privée américaine ; cette technique pourrait effectivement réduire de façon notable les coûts, si elle se concrétise vraiment. Après tout, la même logique de « réutilisabilité » a échoué avec la navette spatiale américaine, dont la maintenance était horriblement complexe et chère.

Il faut donc bien de sérieuses motivations pour quitter notre planète par le biais de la propulsion chimique qui, à défaut d’être vraiment efficiente, a fait ses preuves. Parmi les principaux clients des lanceurs se trouvent bien sûr gouvernements et entreprises privées utilisant l’espace à des fins de télécommunication mais aussi d’espionnage. Tout cela se passe dans le voisinage immédiat de la Terre ; afin d’aller plus loin encore, comme pour rejoindre la Lune ou explorer les autres planètes, seul des exploits politiquement motivés comme Apollo (et le nouveau programme Artemis) ou la recherche scientifique pure représentent des motivations suffisantes. À moins de changer de paradigme technologique, l’espace profond restera encore longtemps le domaine des curieux•ses et des rêveur•ses… 

1   https://en.wikipedia.org/wiki/Newton%27s_cannonball

2   https://fr.wikisource.org/wiki/De_la_Terre_à_la_Lune/Texte_entier

3   https://fr.wikisource.org/wiki/La_Guerre_des_mondes

4   https://www.astronomy.com/space-exploration/the-karman-line-where-does-space-begin/

5   https://www.nasa.gov/scientificballoons/faqs/

6   https://en.wikipedia.org/wiki/Saturn_V

7   https://www.youtube.com/watch?v=uWjdnvYok4I

8   https://spaceimpulse.com/2023/08/16/how-much-does-it-cost-to-launch-a-rocket/