Ce sont généralement les grands oubliés de toutes les tournées encyclopédiques du système solaire : les Troyens et les Centaures. Pris individuellement, tous ces objets épars n’ont rien de très impressionnant… Ce ne sont que des cailloux de quelques dizaines de kilomètres tout au plus, éparpillés entre nos majestueuses planètes. Cependant, leur nombre force le respect : il y en aurait des dizaines de milliers au moins ! En fait, une grande partie des corps solitaires du système solaire situés à l’intérieur de l’orbite de Neptune seraient des Troyens ou des Centaures !
Troyens, avant et arrières-gardes
Qu’est-ce qu’un Troyen, dans un sens astronomique ? Un objet qui partage la même orbite qu’une planète ! Oui, ce phénomène est possible et a été théorisé dès le XVIIIème siècle. Il a alors été postulé que chaque couple orbital, par exemple la Terre et le Soleil, dispose de cinq points dits de Lagrange (du nom du scientifique ayant calculé leur existence) au niveau desquels l’influence gravitationnelle des deux corps atteint un point d’équilibre : un objet plus petit pourrait y rester de façon stable.
Les points L1, L2 et L3 se situeraient respectivement entre la Terre et le Soleil, derrière la Terre par rapport au Soleil et de l’autre côté du Soleil par rapport à la Terre ; aucun objet naturel n’a jamais été trouvé en orbite stable à ces points. Ce serait les points de Lagrange 4 et 5, situés 60° en avant ou en arrière de la Terre dans notre exemple théorique, qui seraient les plus à même de recueillir naturellement nos cailloux stellaires.
Schéma simplifié des différents points de Lagrange existant dans le système Terre-Soleil (les astres et les distances ne sont pas à l’échelle)
Les premiers objets de ce genre ont été trouvés au point L4 de Jupiter dans les années 1900 et ont été baptisés d’après les héros de la mythique Guerre de Troie. D’où le nom donné à l’ensemble de cette catégorie de corps célestes ! Depuis, celle-ci s’est d’ailleurs considérablement étoffée pour la majorité des planètes :
- Mercure : À ce jour, aucun Troyen n’a été repéré en association avec Mercure. Cela pourrait être dû à la proximité du Soleil et à la forme très elliptique de l’orbite de la planète.
- Vénus : Un Troyen est connu pour Vénus ; découvert en 2013, l’objet est minuscule (moins de 150 mètres dans sa plus grande dimension). Il ne semble pas stabilisé et pourrait quitter prochainement son point de Lagrange.
- La Terre : Au moins deux Troyens sont connus pour la Terre. Tous deux se situent au point L4 et sont très petits, trop petits pour être visibles à l’œil nu ; leur découverte est également assez récente, 2011 pour l’un et 2021 pour l’autre.
- Mars : Une petite dizaine de Troyens de taille réduite ont été identifiés en association avec Mars. La plupart se trouvent au niveau de son point de Lagrange « de queue » ou L5.
- Jupiter : La plus grande planète du système solaire est, sans surprise, celle qui possède le plus de Troyens connus à ce jour. L’impressionnant catalogue déjà établi en la matière permet de déduire statistiquement que Jupiter aurait des milliers, peut-être même des dizaines de milliers de Troyens. Pour mieux s’y retrouver, les astronomes nomment même ceux de son point de Lagrange « de tête » les Grecs et ceux « de queue » les Troyens au sens strict ; leurs noms individuels sont assortis (Achille et Ulysse par exemple pour le premier groupe, Priam et Paris dans le second entre autres).
- Saturne : En dépit de sa taille, Saturne n’a étonnamment aucun Troyen connu. Cela semble dû à la (relative) proximité de Jupiter, qui les attirent tous à elle. En revanche plusieurs des grandes lunes de Saturne disposent de leurs propres « satellites troyens » sur leur orbite autour de la planète : la grande Téthys est accompagnée des minuscules Telesto en L4 et de Calypso en L5, de même que Dioné est précédée d’Hélène en L4 et suivie de Pollux en L5.
- Uranus : Au moins deux Troyens ont été observés au point L4 d’Uranus ces dernières années. Il semblerait que la plus fantasque des planètes n’ait pas beaucoup de compagnons orbitaux de ce type.
- Neptune : Plusieurs dizaines de Troyens ont déjà été identifiés pour Neptune. Leurs noms sont choisis à partir de ceux des Amazones, les guerrières des mythes grecs. Ces objets sont très difficiles à repérer, mais il a été estimé récemment que Neptune pourrait avoir des dizaines de fois plus de Troyens que Jupiter 1, notamment du fait de sa proximité avec les marges extérieures du système solaire et leurs réserves de petits corps aux orbites chaotiques.
Centaures, êtres changeants et inconstants
Là où les Troyens gardent sagement leurs places « devant » ou « derrière » leurs planètes respectives pendant au moins des dizaines de millions d’années, les Centaures sont de véritables vagabonds erratiques dans le système solaire (d’où leur nom provenant des créatures mi-hommes mi-chevaux de la mythologie grecque). Les orbites de ces astéroïdes se situent au moins en partie entre celles de Jupiter et de Neptune. Cependant leurs passages entre les planètes géantes se soldent par des changements de leurs trajectoires au fil des millénaires.
Ces objets sont très peu brillants et donc difficiles à repérer ; plusieurs centaines d’entre eux nous sont pourtant déjà connus. À partir de cet échantillon, les estimations de la population totale des Centaures varient de 50 000 à 10 000 000 2 ! Leur composition est également difficile à étudier, mais des indices tels que leurs couleurs respectives donnent quelques indications en ce sens ; ils semblent pour la plupart mélanger roches et surtout glaces. Ce qui donne également une idée de leur origine : la plupart proviendrait des marges externes du système solaire !
Le plus célèbre des Centaures est probablement Chariklo. Découvert en 1997, cet astéroïde porte le nom de la nymphe éponyme, fille d’Apollon et épouse du centaure Chiron. Ce corps céleste tourne autour du Soleil entre les orbites de Saturne et d’Uranus ; avec pratiquement 300 km de long dans sa plus grande dimension, Chariklo est le plus grand Centaure connu ! Sa surface s’avère extrêmement sombre et peut de choses peuvent en être déduites avec nos instruments actuels. Ce qui a le plus étonné les scientifiques est le fait que Chariklo possède deux fins anneaux brillants 3 ! Ce qui en fait le plus petit corps céleste connu à disposer de pareille parure…
1 ↑ https://www.cfa.harvard.edu/news/neptunes-trojans
2 ↑ https://academic.oup.com/mnras/article/354/3/798/993298
3 ↑ https://science.nasa.gov/solar-system/asteroids/10199-chariklo/