L’extrême limite du système solaire est particulièrement difficile à étudier. Cette région est immense et extrêmement éloignée de nous : les objets qui s’y déplacent nous apparaissent donc minuscules et très peu brillants, sans compter que leur mouvement apparent est particulièrement lent. Et pourtant, ces dernières décennies, un certain nombre de corps lointains y ont été repérés, soulevant le voile d’impensé ayant longtemps couvert cette région. Parmi eux se démarquent notamment Éris, bien entendu, Gonggong et surtout Sedna.
Les objets épars
Les franges du système solaire commencent à nous être presque familières : la plus externe planète connue est Neptune, au-delà de laquelle orbitent Pluton et ses petites comparses glacées au sein d’un vaste anneau de débris plus petits, la ceinture de Kuiper. Cependant, au-delà des limites de cette ceinture orbite une autre population de corps lointains, les objets épars. Ces corps auraient été expédiés là, à une distance moyenne de plus de 40 fois celle qui nous sépare, nous, du Soleil, par les grands mouvements entrepris par les planètes géantes après leur formation. Les objets épars en tirent des orbites étranges, excentriques (elliptiques plutôt que circulaires) et inclinées (par rapport à l’écliptique, le « plan » orbital de toutes les planètes du système solaire).
Le plus grand des objets épars est Éris, avec un diamètre de 2 325 km environ. Découverte en 2005, Éris a une taille légèrement inférieure à celle de Pluton mais est environ 25% plus massive ; c’est elle qui a plus particulièrement bousculé le statut de l’ancienne neuvième planète. D’où son nom d’ailleurs, celui de la déesse grecque de la discorde. Elle aussi est incluse dans la catégorie des planètes naines, dont elle est la représentante la plus massive. Éris ne s’approche jamais à moins de 38 unités astronomiques (UA, 1 UA = la distance moyenne entre la Terre et le Soleil) et s’éloigne même à plus de 97 UA du Soleil sur son orbite très elliptique ; elle met 559 de nos années à la parcourir. À des distances pareilles, Éris est très difficile à étudier, mais on lui a repéré une petite lune, Dysnomie (du nom de la déesse grecque de l’anarchie), et on pense que sa surface est grisâtre ou blanchâtre et très réfléchissante.
Un autre corps important du disque épars est Gonggong, du nom d’une cruelle divinité des eaux et du chaos dans la mythologie chinoise. Gonggong n’a été découvert qu’en 2010 et n’a reçu son nom officiel qu’en 2019, tout comme sa lune Xiangliu, nommée d’après le monstrueux serviteur serpentiforme du dieu susnommé. Gonggong a également une orbite très excentrique, s’approchant du Soleil à « seulement » 33,7 UA mais s’en éloignant à plus de 101 UA au cours de sa longue année, qui dure 554 des nôtres. Son diamètre serait d’environ 1 220km, et on ignore s’il est vraiment sphérique et si son intérieur est différencié ; il n’a pas encore reçu officiellement le statut de planète naine. Gonggong a également pour trait étonnant d’être plutôt sombre, fait inattendu pour un corps qui devrait théoriquement se composer en grande partie de glaces très réfléchissantes. Seules des études à l’aide d’une sonde pourraient nous permettre d’en savoir plus, mais comme pour Éris il faudrait plus de 15 ans pour rejoindre ce petit monde lointain.
Les traces du nuages d’Oort
Le premier grand corps repéré dans cette si lointaine région n’était cependant pas Éris mais Sedna. Découverte en 2003, Sedna a reçu le nom de la déesse inuite de la mer. Ce corps céleste mesurerait environ 1 000 km de diamètre, n’a pas de satellite connu et aurait une surface presque aussi rouge que celle de Mars ; cette couleur ne serait pas due à des oxydes de fer mais à des tholins, des hydrocarbures générés par le contact du vent solaire avec des glaces de méthane. Sedna se trouvait à 84 UA du Soleil au moment de sa découverte, soit 13 MILLIARDS DE KILOMÈTRES. Une distance ahurissante… Mais il s’agit déjà presque de son périhélie, le point de son orbite le plus proche du Soleil. Son aphélie, le point le plus éloigné de son orbite, se trouverait à environ 937 UA du Soleil, soit 140 MILLARDS DE KILOMÈTRES. Elle mettrait entre 11 800 et 12 100 de nos années à boucler son orbite…
Une question s’est posée dès la découverte de Sedna et de ses caractéristiques orbitales : quelle est son origine ? D’autres objets plus petits mais avec des orbites toutes aussi démentes (les « sednoïdes ») ont depuis été découverts et soulèvent la même question. En effet, ces corps ne peuvent pas s’être formés avec des orbites aussi peu circulaires. Celles-ci doivent donc avoir été perturbées par quelque chose. L’une des théories admises est qu’une étoile serait passée « à proximité » du Soleil (tout étant relatif) il y a de cela des milliards d’années 1 et aurait perturbé les orbites de tous ces corps lointains. Les comètes à longue période, que nous n’avons l’occasion de voir qu’une seule fois au cours de notre vie tant leur période orbitale est longue, auraient la même origine. Mais si cette théorie est exacte, elle signifie aussi qu’il existerait encore une autre région pleine de corps glacés à la marge du système solaire…
Jusqu’à la découverte de Sedna et des « sednoïdes » l’existence de ce « nuage d’Oort » n’était que théorique. Son existence a cependant été postulée dès 1950 par l’astronome hollandais Jan Oort, pour expliquer l’origine des comètes à longue période. Ce nuage aurait deux parties, l’une « interne », en forme de disque, parfois également nommée « nuage de Hills », et l’autre « externe », sphérique et enveloppant le système solaire tout entier. Il s’étendrait entre 2 000 et 100 000 UA de distance du Soleil ! Le nuage d’Oort pourrait contenir des milliards voire même un trillion de corps glacés 2 ! Un chiffre stupéfiant, mais il faut garder à l’esprit que dans un volume si vaste, aucun de ces objets ne s’approcheraient les uns des autres à moins de millions de kilomètres de distance. D’autres corps de la taille de Sedna pourraient y attendre d’être découverts, voire même quelque chose de plus grand… Les recherches, ardues, se poursuivent !