Un Bon Écran Est Une Bonne Fenêtre

Le groupe était resté calme au cours des dernières heures : pas de conversations emballées, complètement débiles et sans queue ni tête entre les trois jeunes autres membres de leur petite guilde en ligne pour une fois. Juste quelques questions techniques : c’est à quel niveau qu’on débloque le propulseur de niveau 12 ? – ça se trouve où le condensateur d’hydrocarbures ? – Y a combien de secteurs type oméga sur Titan ? – comment on contacte les game masters déjà ? J’ai supprimé un truc important de mon inventaire par erreur… Theodora se surprit à ressentir une pointe de déception de ne pas avoir pu franchement sourire sitôt son téléphone rallumé, et cela lui donna envie de ronchonner contre elle-même, mais elle se reprit en répondant avec un laconisme exagéré et forcément perceptible avec la bonne dose de second degré. 

Elle laissa retomber son téléphone dans son sac en bandoulière, mais un tressautement de la rame de métro engagea l’appareil mobile dans le mauvais replis. En l’en dégageant, la femme attrapa par inadvertance la photo de Perruque qu’elle avait fait développer cinq mois plus tôt, immédiatement après l’avoir prise du refuge : une chatte dont le strabisme effaçait, du moins à l’image, son tempérament de froussarde absolue, sans rien laisser voir non plus de son nom pour le moins unique. Elle rattrapa son téléphone et commença à taper un message à l’intention du groupe : J’espère qu’aujourd’hui Perruque se chiera pas dessus en croisant la route de l’aspirateur automatique. J’ai pas envie de- Elle s’interrompit. Non, ce n’était pas elle : elle, c’était la briscarde du groupe, la pince-sans-rire, la mentor partageant ses compétences diverses, sans désobligeance, la « vieille »… Elle pressa le bouton « effacer », et cette fois-ci appareil mobile et encart de papier glacé retrouvèrent leurs places respectives. 

Elle pencha la tête de côté pour regarder par la fenêtre : le train atteignait la portion de la ligne construite en extérieur et en hauteur. Des nuages gris amoncelés au-dessus d’eux, une pluie épaisse et poisseuse tombait sans discontinuer, emportant avec elle la pollution atmosphérique qui se déposait en coulures noirâtres sur les bâtiments informes de la mégalopole. Ce n’était pas un temps de saison aurait dit sa mère, mais il n’y avait plus de saison. En fait, il n’y avait plus vraiment grand-chose. Théodora détourna les yeux pour scruter l’intérieur du wagon ; la matinée s’avérait déjà bien avancée, seule la moitié des sièges étaient occupés. Il y avait au moins un bénéfice à devoir commencer sa journée habituelle si tard…

Elle descendit à sa station et s’engagea dans les couloirs empestant la pisse jusqu’aux tourniquets de sortie. Comme d’habitude, Theodora essayait de garder la tête basse à ce moment, mais comme d’habitude son regard fut comme happé par l’écran géant en face d’elle : un jeune homme, la fin de la trentaine, svelte et peau nette, lui faisait face, l’air défait. Le dispositif publicitaire doté d’une petite caméra et d’un logiciel de filtrage visuel l’intégrait sur un sol de sable fin, un ciel immaculé en arrière-fond ; les couleurs étaient tellement saturées qu’elles en étaient corrosives, dégueulantes, y compris celles de la typographie rondouillarde et sautillante annonçant : Alors, vous n’avez pas envie de partir en vacances Theo ? Theodora sentit sa gorge se serrer : aux yeux et aux caméras du monde, ce jeune homme, au demeurant relativement séduisant, qu’elle-même aurait trouvé attirant, c’était elle. Elle détestait de renvoyer cette image autour d’elle, et ce surtout aussi littéralement à ce moment…

Theodora pressa le pas pour sortir de la station et ouvrit son parapluie en s’engageant sur le trottoir rendu glissant par les prospectus, chewing-gum et autres détritus divers l’encombrant ; des trouées qu’occupaient encore les souches des arbres récemment morts en masse, une boue grasse, couleur merdasse, débordait. Elle retint un juron, réalisant qu’elle avait oublié d’arroser ses plantes avant de partir ; il ne fallait pas qu’elle l’oublie en rentrant et… Ah, le bureau, déjà. La femme se racla la gorge, prête à ramener la hauteur de sa voix et l’amplitude de sa diction dans les normes viriles acceptables. C’était toujours plus difficile après ces longs weekends… Elle pressa le pas, levant à peine le bras en un bref salut à l’intention de la réception, et fit biper son badge sur le panneau de commande de l’ascenseur. Tintement, ouverture de porte, nouveau raclement de gorge ; un parapluie lancé dans le pot dédié, une veste accrochée au porte-manteau et, voilà, elle était assise à son poste, allumant son ordinateur et enfilant son micro-casque, qui se mit à sonner directement. 

« — Service Client New Sprout Insurance, que puis-je pour vous ? »

Un cas difficile, déjà. Rompant ses protocoles intégrés sur le bout des doigts, Theodora laissa de longues minutes à la cliente à l’autre bout du fil pour expliquer sa confusion en constatant que ses soins d’oncologie n’étaient pris en charge qu’à cinq pour-cent ; sa voix était rendue encore plus chevrotante par l’émotion, et la standardiste dut bloquer un sanglot dans sa propre voix lorsqu’elle eut à lui expliquer avec un apparent et grave détachement que, n’ayant pas augmenté sa couverture après son quatre-vingtième anniversaire, cette situation était « normale ». Normale. Theodora aurait voulu revenir à sa voix plus haute, moins menaçante, celle qu’elle réservait à ses sessions de jeu en vocal le weekend, pour réconforter la vieille dame, lui dire à quelle point elle était désolée et… Petits coups sur la demi-cloison, lui faisant déjà détourner ses yeux embués de larmes : Ricardo, son manager, lui faisait signe de se presser un peu, son indéboulonnable sourire faux lui communiquant que son quota d’appels ne serait pas atteint aujourd’hui si celui-ci n’était pas abrégé.

Elle se retourna vers son écran en contractant ses orteils au point de les faire craquer, ne pouvant exprimer la moindre colère et frustration de façon trop visible, et coupa la vieille dame avant de se forcer à raccrocher sans brusquerie. Un nouvel appel arriva immédiatement. Votre couverture change à chaque « cercle de croissance ». Oui nous les nommons comme cela. Oui, c’était dans les conditions et termes du contrat. Non votre chirurgie ne sera pas couverte. Et ainsi de suite. Au bout d’une heure, s’étant assurée qu’aucun autre gros con comme Ricardo n’était dans les parages, Theodora refoula le cynisme cruel mais auto-protecteur qui commençait à s’emparer d’elle en sortant discrètement de son sac une petite feuille sur laquelle elle avait griffonné une série de chiffres alignés qu’aucune autre personne n’aurait pu comprendre. 

Encore sept heures, sept heures et elle donnerait sa démission en liquidant ses jours de congés pour couvrir son délai de départ, et elle rendrait les clés de son appartement à l’issue du préavis qu’elle avait donné le mois dernier… Elle et Perruque partaient pour le bord de mer… Enfin, elles partaient principalement pour la clinique communautaire longs séjours qui lui pomperait une majorité de ses économies mais lancerait en contrepartie, enfin, sa transition hormonale, chirurgicale… sociale. Et plus jamais elle ne ferait un job aussi immonde et dans des conditions aussi merdiques. Surtout, elle serait plus heureuse, ou du moins elle essaierait de l’être, et elle essaierait de se retrouver, ou plutôt de se trouver. Qui savait, elle pourrait peut-être même être drôle. Au moins essayer. Ah, le plus insaisissable des traits humains, l’humour, le vrai, avec un grand H. Et, quand on en parlait… Nouvelle notification TeleWhat. 

Theodora plaqua la paume de sa main sur l’écran de son téléphone pour cacher l’icône bleue de l’application au nom idiot mais plébiscitée par les joueurs et joueuses du monde entier pour leurs échanges sociaux et se leva sans empressement. Direction : les toilettes. Il n’y avait que dans les chiottes qu’on avait droit à un moment de répit dans cette boîte, et encore… Elle contourna les parois en préfabriqués de son box, évitant soigneusement de croiser le regard de ses deux collègues mitoyens qui, levant les yeux vers elle, pensait sans doute : « Theo c’est un fou, il se permet de faire une pause pour aller pisser au bout d’une heure ! » Arrivée devant les portes fatidiques, Theodora s’engagea sur celles portant un rectangle plutôt qu’un triangle, symboles débiles pour une séparation toute aussi stupide. Elle avait toujours viscéralement détesté les urinoirs destinés à la gent masculine, et même si elle pouvait les utiliser pour quelques temps encore, elle se dirigea immédiatement vers une cabine. De toute façon, elle n’avait même pas spécialement de besoin à soulager.

Une fois la porte verrouillée et son séant posé sur la cuvette empestant le désinfectant bon marché, elle déverrouilla l’écran et fixa la caméra au sommet de celui-ci pour que le logiciel de reconnaissance faciale affiche l’intégralité de la notification. Eh regardez, je suis devenue la plus belle citoyenne de toute l’aire décapartite. Même pas : la plus belle meuf de tout Risen Stars ! Évidemment, ces bons mots d’Eridia s’accompagnaient d’une vidéo montrant la nouvelle apparence de son personnage en jeu : une créature velue vaguement humanoïde, ou plutôt gorillesque, avec de gros yeux et qui dansait en de grands mouvements simplistes qui faisaient ondoyer les longs poils… ou… cheveux qui affublaient ses fesses généreuses et ses seins démesurés qui battaient et même s’entrechoquaient en cadence. C’était grotesque, absurde même, surtout pour un univers virtuel dont la population se prenait tellement au sérieux. Theodora rit franchement, pour la première fois de la journée, secrètement satisfaite qu’une de ses ouailles aient trouvé ces éléments de personnalisation secrets que personne, y compris elle-même, ne portait jamais, et répondit sur son ton habituel : La plus belle je sais pas, mais la plus unique ça c’est sûr ! On devrait t’utiliser comme mascotte ! Et l’intéressée répondit immédiatement d’un joyeux oh oui !

Theodora souriait encore en se levant et en tirant la chasse. Cela faisait plus de cinq minutes qu’elle était là, son absence allait bientôt se faire remarquer… Merde, cas de le dire, Ricardo le lèche-botte du système était là à fixer le mur, enfin plutôt à faire son affaire devant l’urinoir. Elle se dirigea à pas léger vers les lavabos, espérant qu’il ne l’ait pas entendue et… 

« — Alors Theo, on a une bonne grosse gastro ? » elle ne put s’empêcher de rouler des yeux, remerciant secrètement le pan de mur qui l’empêchait encore de la voir. De sa voix la plus masculine possible, elle répondit : 

« — Tu sais que ça arrive d’aller chier même quand on est en parfaite santé ? Ou je t’apprends quelque chose ? »

« — Tu peux me dire tu sais, ça me dégoûterait pas. D’ailleurs mon offre de passer prendre un verre et parler de tes performances en berne tient toujours ! » Et, en passant derrière elle, Ricardo lui mit une petite tape sur les fesses ; il sortit des toilettes sans s’arrêter aux lavabos. 

« — Un gros porc à tous les niveaux… » soupira-t-elle en se lavant une seconde fois les mains pour évacuer sa colère et son dégoût. Encore une fois, elle se promit d’aussi devenir forte et pleine de répondant dans la « vraie » vie, une fois femme aux yeux de tous, une fois qu’elle serait vraiment indépendante. Autre vaste chantier. 

Theodora prit une profonde inspiration et retourna à son poste ; elle avait des appels à rattraper. Les deux heures et demi du reste de sa session de travail s’écoulèrent avec une lenteur épouvantable, le micro de l’oreillette collé à la joue, l’écran de l’ordinateur à son niveau maximum de brillance pour bien imprimer sur sa rétine la directive prioritaire et celles qui en découlaient : toujours moins donner. Débouter avec tact ou si nécessaire privilégier les explications jargonneuses et dites avec rapidité qui perdaient, telle était la dernière stratégie gagnante pour que les actionnaires continuent de toucher des dividendes toujours plus gros. Une autre chose aussi complexe, artificielle, par dessus tout inutile : stupide, suprêmement stupide. 

Sonnerie sur le poste cette fois-ci, avec grosse horloge vibrant devant les tableaux de réponses toutes faites. L’heure de la pause déjeuner, enfin plutôt de la pause goûter, ou qu’importait. Elle raccrocha son dernier appel et sortit rapidement du bureau, s’arrangeant pour ne croiser aucun et aucune de ses collègues ; à cette heure-ci les fastfoods étaient les seuls restaurants ouverts, et elle n’était plus d’humeur à respecter son régime pour la journée. Après s’être commandé un burger, des frites, des nuggets et un énorme gobelet de soda, elle ressortit son téléphone de sa poche, d’abord pour vérifier si elle avait besoin d’ajuster le prix des objets qu’elle avait mis en vente sur Risen Stars

Theodora voulait leur gagner de l’argent (virtuel) avant la sortie des prochains contenus majeurs, dans six mois. Son intérêt profondément ancré pour l’astrophysique était plus sollicité que jamais par cette nouvelle extension qui ajouterait au jeu les confins du système solaire, et avec lui au moins une planète, sept planètes naines et des milliers de comètes (générées de façon procédurale par l’IA du jeu). Ces derniers environnements, contrairement à tout ce qui existait déjà sur leur jeu en ligne de prédilection, pouvaient véritablement être clamés par une guilde, à condition d’arriver assez vite à destination. Il faudrait carburer pour se payer une nouvelle nef, mais cela en valait la peine : enfin leur petit groupe d’originaux aurait un « endroit » à lui. Même virtuellement, pour eux, cela valait bien quelque chose. Elle ouvrit leur dernière photo de groupe, enfin plutôt la dernière capture d’écran qu’ils avaient pris ensemble tous les quatre : Eridia, avant qu’elle ne devienne un primate hirsute nu mais déjà avec un sens esthétique unique, Zoku, plus proche de ce qui pouvait être le plus haute couture dans le jeu, Karam, qui se fichait complètement de porter des éléments dépareillés et bon marché, et enfin elle, Theodora… 

Et dire que c’était vraiment le nom qu’elle s’était choisi presque sur un coup de tête en s’inscrivant sur le jeu, quatorze ans plus tôt. Elle avait longtemps joué en solitaire, oubliant sa réalité dans l’univers de conquête et d’exploration de Risen Stars. Ce faisant elle avait grandi avec sa complexité, et c’était naturellement qu’elle avait commencé à aider les petits nouveaux trop bizarres pour être accueillis par les guildes « sérieuses ». Elle avait d’abord aidé Karam, puis Zoku, et eux deux avaient trouvé Eridia ; aucun d’eux ne parlaient beaucoup de leur « vraie » vie, ne gardant que leurs rêveries et surtout leur humour pour l’univers parfois froid du jeu. Au contact de cette authenticité positive, Theodora s’était trouvée au plus profond d’elle-même : maintenant elle s’appelait constamment de ce nom qu’elle trouvait beau, pas si éloigné de celui qu’on lui avait donné à la naissance, et ce serait lui qu’elle ferait inscrire à l’état civil quand elle sortirait de la clinique, juste à tant pour l’extension d’ailleurs…  

Ce serait la première fois qu’ils feraient un add-on ensemble dès sa sortie, et l’idée de la faire en si bonne compagnie, plus encore que les nouveaux mondes, les nouvelles actions et les nouveaux éléments de scénarios, la remplissait de joie. Ces petits jeunes (car il lui était extrêmement facile de deviner qu’ils sortaient à peine de l’adolescence) se pensaient tous redevables envers elle, mais c’était Theodora qui leur devait le plus, puisqu’ils étaient les seules personnes avec lesquelles elle se sentait vraiment elle-même, même à travers les écrans. Et dire qu’ils n’en savaient rien, puisqu’elle s’était longuement entraînée à parler d’une voix plus féminine et suave avant de se lancer dans des appels vocaux avec eux… Peut-être qu’ils avaient le droit de savoir… Ou qu’elle pouvait se permettre de les remercier, et de se révéler. Elle voulait être plus libre…  

Comme elle avait évidemment amené sa besace avec elle, Theodora en sortit sa lettre de démission et la relut une dernière fois avant de réviser les notes des phrases qu’elle voulait asséner à la responsable des ressources humaines avec laquelle elle avait rendez-vous à la fin de sa pause. Elle n’en avait pas précisé la cause, peut-être s’attendaient-ils à ce qu’elle s’excuse de ses récentes « mauvaises » performances, et cette hypothèse la fit sourire malgré ses tremblements qui gagnaient en intensité. J’ai interrogé un avocat spécialiste du droit du travail : je peux parfaitement partir de cette façon. Je finis ma journée et je vous rends mon badge. Vous ferez comme vous pourrez en attendant d’avoir un remplacement ce n’est plus mon problème. Une partie d’elle jubilait à l’idée d’enfin pouvoir proférer ces piques pourtant dérisoires, et une autre était tétanisée de peur, du fait du bras d’honneur qu’elle ferait au carriérisme dans lequel elle avait été élevée. Sans parler de tout ce qui viendrait après. 

Elle ferma les yeux et, par seule mémoire musculaire, tapa à l’aveugle sur son téléphone : Mes poulets rôtis spatiaux, je dois vous avouer quelque chose… Je quitte mon travail aujourd’hui… Et ensuite je change de vie, je me lance vraiment dans ma transition. Je suis une femme trans. Je voulais vous le dire car… C’est un peu grâce à vous que j’ai appris à m’aimer plus comme je suis… désolée c’est niais et sans queue ni tête… Mais merci, vraiment. Et à partir de maintenant j’essaierai d’être plus drôle promis ! Theodora ne rouvrit les paupières que pour presser le bouton bleu muni d’une flèche blanche activant l’envoi des messages sur TeleWhat. Peut-être qu’ils se détourneraient d’elle, gênés et dégoutés… Pour une fois, elle ne faisait pas dans la demi-mesure : tous les aspects de sa vie seraient chamboulés, pour le meilleur ou pour le pire. Après ce soir, aucun retour ne serait plus possible…

Plusieurs indicateurs de notification tintèrent ; en général tous trois étaient libres en semaine à ce moment de la journée. Les notifications pleuvaient, si vite que Theodora peinait à suivre, et Karam, Zoku et Eridia rivalisaient pour se répondre le plus vite possible ; Eridia : Oh trop bien je suis trop contente pour toi ! – Zoku : Ah mais alors t’as toujours vécu comme meuf et maintenant tu vas être un gars c’est ça ? – Karam : Non espèce de débile c’est l’inverse ! – Zoku : Oh pardon désolé je connais pas trop ! Juste je pensais enfin être moins seul. Haha – Eridia : Plains-toi d’être qu’avec des meufs géniales va. Quel ingrat cui-là. En tout cas hésite pas à nous dire ‘Ra si tu as besoin d’aide pour quoi que ce soit. Je m’y connais pas mal en maquillage, dans la vraie vie, si t’as besoin je pourrai t’apprendre. – Karam : Moi j’ai un annuaire de professionnels de santé bienveillants si tu veux. – Zoku : Déjà surtout courage : tu vas démanteler ton boss et t’extraire de ton taff (termes du jeu vous avez vu comme je suis doué ?) – Eridia : T’en fais pas pour nous si t’es moins sur le jeu dans les jours et semaines à venir on va prendre le relais et te rendre l’appareil (ça s’écrit comme ça ?) – Karam : En tout cas surtout oui courage on est là ! Et les deux autres avaient posé des « superlikes » sur ce dernier message.

Theodora, son burger à moitié mangé dans une main et une frite dans l’autre, pleurait. Elle retint un reniflement bruyant et se moucha, ne sachant pas encore comment les remercier ; elle se sentait brûlante de joie. La fin de la pause approchait, mais deux notifications issues d’applications différentes venaient d’apparaître sur son écran. La première venait de l’aspirateur automatique de chez elle, et en l’ouvrant elle put voir les derniers mouvements détectés par la webcam de son aspirateur automatique : cette fois-ci Perruque ne s’était pas chiée dessus mais avait carrément vomi en voyant l’aspirateur arriver sur elle. Theodora laissa éclater son fou-rire, cristallin, et copia la vidéo pour l’envoyer au groupe avec la légende suivante : Je sais pas comment vous remercier… Regardez comment ma couillonne de chatte célèbre tout ça de son côté ! J’aurais dû vous la montrer plus tôt, et dans des circonstances plus flatteuses pour elle. Elle s’appelle Perruque. C’est pas moi qui ai choisi, mais j’adore. 

Elle s’empressa de dévorer le reste de sa nourriture pour ressortir du restaurant, prenant seulement le temps, en chemin, d’ouvrir la seconde notification. Elle provenait du portail d’astronomie amateur auquel elle était abonnée : Découverte d’une nouvelle planète naine de grande taille au-delà de l’orbite de Neptune. Une nouvelle réjouissante, enfin au moins une nouvelle qui la réjouissait elle, si ce n’était pas un signe de plus… Restait à voir si les développeurs de Risen Stars allaient ajouter le nouvel astre à l’extension à venir !

Sentant une chaleur diffuse se poser sur sa peau, Theodora pointa machinalement son téléphone vers le ciel et prit une photo du soleil perçant à travers les nuages juste au-dessus des toits. Les notifications TeleWhat se déversaient au sommet de l’écran, noyant le message direct de la RH lui demandant si elle serait à l’heure. Une pensée aussi bizarrement mielleuse que pertinente lui vint à l’esprit, et elle la nota en légende de la photo en la postant sur son propre profil TeleWhat : pour bien voir la réalité il suffit d’ouvrir la bonne fenêtre. Pas la plus grande maxime philosophique, ça ne voulait pas dire grand-chose mais… À son sens c’était vrai, surtout à ce moment. Elle se sentait prête, elle se sentait bien.