Croire n’est pas savoir

La révolution scientifique nous a permis de mieux comprendre le monde et de mieux saisir sa complexité, personne ne peut le nier. Elle s’est cependant accompagnée d’un effet pervers : l’émergence de savoirs considérés indiscutables car supposément observés et étudiés. Or, bien souvent, ces assertions étaient des compréhensions superficielles, voire erronées, fruits de préjugés… dogmatiques. 

À la fin du XVIIIème siècle et surtout au XIXème siècle, suite à la révolution scientifique engagé lors des siècles précédents le monde occidental se sécularisa (très) lentement et fut pris d’une boulimie de savoir : on parvint à mieux maîtriser la mécanique et l’énergie (engrenages, combustion, vapeur, électricité, radio…) et on commença à appréhender les fondements de la biologie ainsi que l’ancienneté de la Terre elle-même (fondation de la paléontologie, affinage du concept d’espèce vivante, interactions entre micro- et macroorganismes…). Les moyens humains augmentèrent, tout comme le savoir : le monde semblait entièrement connaissable et maîtrisable… Et il en résulta l’émergence d’un véritable dogme scientiste, des préjugés déclarés indiscutables au nom de la science 1.

Les grands dévoiements de l’idée de science

Au XIXème siècle, les dogmes (pseudo-)scientifiques s’exprimèrent de façon spectaculaire et dévastatrice à travers la colonisation de la quasi-totalité du monde par les puissances occidentales (avec en tête le Royaume-Uni et la France). Concernant les autres espèces terrestres par exemple, beaucoup pensaient, en déformant la théorie de l’évolution, que certains êtres vivants étaient plus « avancés » que d’autres, et devaient donc naturellement conduire à l’extinction des premiers. Cette idée se mit en place librement durant la colonisation de la Nouvelle-Zélande par les anglais pour ne citer qu’un exemple emblématique ; un très grand nombre d’espèces endémiques* néozélandaises furent conduites activement ou passivement à l’extinction, notamment du fait de l’introduction d’espèces invasives, et ce dans une indifférence voire une célébration générale 2. L’Homme croyait accélérer le processus darwinien, incapable de prendre conscience que toutes les espèces de notre planète se sont développées en parallèle, et qu’aucune n’est « plus évoluée » qu’une autre… 

Évidemment, l’affaire est encore plus choquante concernant le sort infligé aux personnes non-blanches. Le racisme se retrouva en grande partie renforcé par le scientisme, qui voyait dans les différences phénotypiques* une séparation de nature spéciste entre les différentes ethnies humaines. Et dans cette perspective, les hommes blancs, supposés plus évolués (sic), plus civilisés (re-sic) et plus avancés grâce à la « science », se donnaient le devoir (ou le droit…) de priver des peuples entiers de leurs terres ancestrales, de leurs biens, de leurs cultures, de leurs religions, de leur rapport au monde, de leur autonomie… Allant jusqu’à perpétrer d’impitoyables violences. De la Terre de Feu 3, à la Nouvelle-Calédonie 4 en passant par les vastes étendues d’Amérique du Nord 5 ou le Désert de Namibie 6, les premiers génocides (« délibérés » ou non, la distinction étant triviale à ce niveau) furent faits au nom d’une intrumentalisation raciste, extractiviste et égoïste de l’idée même de « science ». Le point culminant de cette dynamique sera atteint dans les années 1930 et 1940, avec des événements qu’il serait superflu de présenter.

Un manquement scientifique mais aussi moral qui nous suit encore

La remise en cause du scientisme se poursuit encore à l’heure actuelle, plus ou moins lentement selon les domaines, n’étant complètement achevée nulle part. L’un des exemples les plus polarisants à l’heure actuelle concerne le sexe biologique (et le genre, mais le sujet n’est pas exactement le même). Dès les balbutiements de la biologie comparative avec Carl von Linné (1707-1778) dans les années 1750, il semblait acquis qu’il existait deux sexes dans la nature 7. Ses héritiers poursuivirent la tendance, prenant pour acquis que mâles et femelles, surtout chez les animaux, étaient strictement séparés pour chaque individu, que la femelle avait à charge de produire la génération suivante après accouplement avec le mâle et était inféodée à celui-ci. En 1905 furent découverts les chromosomes « sexuels » 8, et la dichotomie sexuelle stricte sembla devenir une évidence biologique. Or cette idée simple s’avère surtout simpliste, et est encore utilisée à tort et à travers comme un dogme absolu pour réprimer toute variation à ce schéma chez les humains 9.

En effet, la méthode scientifique, même appliquée à la seule physiologie, n’a cessé de nuancer ce modèle binaire : l’idée que les sexes ont des différences fondamentales et sont des catégories strictement étanches est erronée. De nombreuses espèces présentent des caractéristiques sexuelles brouillant complètement la classification mâle/femelle 10, et au sein de certains groupes animaux des individus viables présentent des variations sexuelles plus ou moins importantes les plaçant entre les catégories mâles et femelles 11 ; chez d’autres, l’hermaphrodisme est la norme 12, alors que d’autres encore sont en majorité composées de membres asexués 13. Remettre en question le dogme scientiste ne consiste pas à nier l’évidence qu’il y aurait deux sexes, mais à reconnaître que celle-ci n’est pas absolue, ne l’a jamais été et ne le sera jamais : il y a des variations qu’il faut étudier, comprendre et, au besoin, revoir le modèle général. Pour ne pas devenir une croyance aveugle, la science doit rester curieuse et tolérante. Plus facile à dire qu’à faire…

La croyance est le mal que le savoir guérit 

Un certain nombre d’institutions scientifiques ont au moins en partie identifié le problème du scientisme et les moyens pour lui substituer une méthode scientifique revigorée. Cela passe d’abord par une plus grande diversité de perspectives dans la recherche, afin d’apporter d’autres regards et de confronter les points de vue afin de dépasser les présupposés existants 14. Ensuite, le grand public doit être mieux familiarisé avec la méthode permettant l’acquisition du savoir, et l’idée que celui-ci peut encore s’affiner au gré des découvertes ! Ce que nous tentons de faire, à notre humble niveau, ici Avec Un Grain De Sel !

Endémique : (adj.) se dit d’une espèce donnée. Une espèce endémique est une espèce qui n’existe nulle part ailleurs. Par exemple, les kiwis sont des espèces d’oiseaux endémiques de Nouvelle-Zélande. 

Phénotypique : (adj.) relatif au phénotype. Le phénotype est l’ensemble des traits physiques exprimé par un individu d’une espèce donnée (taille, couleur de la peau, des cheveux, des yeux…).

1 https://www.pbs.org/faithandreason/gengloss/sciism-body.html

2 https://teara.govt.nz/en/acclimatisation/print

3 https://www.radarmagazine.net/clash-of-civilizations-selknam/

4 https://fr.wikisource.org/wiki/La_R%C3%A9volte_des_Canaques

5 https://www.history.com/news/native-americans-genocide-united-states

6 https://amp.theguardian.com/global-development/2023/feb/03/namibia-genocide-victims-herero-nama-germany-reparations

7 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC1973966/

8 https://www.nature.com/scitable/topicpage/nettie-stevens-a-discoverer-of-sex-chromosomes-6580266/

9 https://www.scientificamerican.com/article/sex-redefined-the-idea-of-2-sexes-is-overly-simplistic1/

10 https://www.nationalgeographic.com/science/article/in-this-insect-females-have-penises-and-males-have-vaginas

11 https://www.merckvetmanual.com/reproductive-system/congenital-and-inherited-anomalies-of-the-reproductive-system/intersex-conditions-of-animals

12 https://link.springer.com/article/10.1007/s10228-020-00754-6 

13 https://www.pbs.org/wgbh/evolution/library/01/5/l_015_01.html 

14 https://greatergood.berkeley.edu/article/item/how_diversity_makes_us_smarter