Si tous les humains appartiennent à la même espèce, alors pourquoi n’avons-nous pas tous la même langue ? Après tout, nos cerveaux sont (généralement) câblés de la même façon, alors pourquoi la biologie ne nous donnerait pas à tous la même façon de parler ? Le problème ne peut guère se résumer en termes aussi simples, ni se voir résolu d’une façon expéditive. Éléments de réponse !
Dans le monde vivant, de nombreuses espèces ont des capacités à communiquer. Évidement, celles-ci n’ont pas la richesse et surtout la diversité des langues humaines. Prenons par exemple les grillons : ces animaux sont capables de bruits pour le moins impressionnants afin de se manifester les uns aux autres, mais il ne semble pas y avoir de variations entre les façons de crisser des grillons appartenant à une même espèce 1. Ces insectes ne font qu’utiliser les structures communicatives dont l’évolution les as dotés, dans un seul registre, comme s’ils étaient « programmés », comme si leur langage était « encodé » dans leurs gènes… Pourquoi n’est-ce pas le cas chez l’humain ?
La forme et la fonction, avec le langage
L’expression « la forme détermine la fonction » ne s’applique pas partout mais elle peut nous éclairer sur cette question. Même si les grillons sont autant des chefs-d’œuvre de l’évolution que n’importe quel organisme peuplant cette planète, leur système nerveux tout comme leurs structures de production sonore sont relativement simples, limitant sans doute leurs « variations » langagières. Ce n’est pas le cas chez certaines espèces d’oiseaux chanteurs 2 ou chez les orques 3 : chez ces espèces, on observe des « dialectes » d’un groupe ou d’une famille à l’autre. Ces « dialectes » animaux semblent d’ailleurs acquis : la structure vocalisatrice mais aussi et surtout neurologique bien plus complexe de ces genres autorisent et encouragent les variations.
L’humain a un cerveau incroyablement complexe. Lorsqu’il est parfaitement fonctionnel, il dispose de tous les circuits nécessaires pour nous permettre d’acquérir l’assemblage complexe qu’est une langue 4. Le célèbre linguiste Noam Chomsky 5 a même avancé, avec l’une de ses thèses les plus célèbres, que c’est la capacité à mémoriser les mots et à suivre la syntaxe qui serait un trait commun des humains. Si ce n’est le trait qui nous unit tous en termes de langue. Au-delà de cela, les mots en eux-mêmes tout comme la syntaxe les liant peuvent varier à l’infini, tant qu’ils suivent les voies neurologiques dans nos têtes. En somme, nous sommes programmés pour parler, mais les données traitées par le programme de la parole peuvent changer…
Non pas une langue mais un vrai langage commun
Notre question d’origine (Pourquoi y a-t-il autant de langues ?) présuppose que la diversité des langues serait au mieux illogique, au pire pénalisante. Mais c’est sans doute une tautologie : revenons à nos orques et à nos oiseaux. Les variations langagières « dialectales » semblent concourir au succès des populations qui les utilisent ! Elles peuvent peut-être permettre de mieux montrer ses capacités vocales dans le cas des oiseaux, ou de mieux se reconnaître entre membres d’une même famille pour ce qui est des orques. Les mêmes mécaniques ont peut-être été à l’œuvre dès que les humains ont acquis la parole.
On pourrait également avancer que notre question initiale se trompe de cible. Pourquoi chercher une langue universelle, alors que nous avons déjà un langage universel ? En général, même si vous ne comprenez pas une personne ne parlant pas la même langue que vous, son langage corporel ou facial vous sera relativement compréhensible ! Bonheur, tristesse, colère, dégoût, peur… Là sont peut-être les vrais éléments que chaque être humain qui y met un peu du sien peut comprendre et communiquer sans même avoir besoin de les apprendre consciemment !
De plus, même si ces thèses sont encore largement débattues, Noam Chomsky avait raison sur un point : chaque être humain, pour des motivations qui lui sont propres, est capable d’apprendre une autre langue que celle avec laquelle il a grandi ! C’est donc bien notre capacité à communiquer, d’abord avec les émotions les plus simples, puis avec les outils les plus abstraits, que nous partageons tous et toutes.
1 ↑ https://entomology.unl.edu/k12/crickets/temperature.htm
2 ↑ https://www.cambridge.org/core/journals/behavioral-and-brain-sciences/article/abs/biology-of-birdsong-dialects/1C7966DFFF47C5506A1170D6C5FC0F75
3 ↑ https://baleinesendirect.org/en/do-different-killer-whale-ecotypes-communicate-in-the-same-way/
4 ↑ https://www.amnh.org/explore/videos/humans/human-brain-language