Que nous reste-t-il à (re)trouver ?

Qui a encore le temps de se demander quelles seront les découvertes scientifiques, artistiques ou philosophiques de demain ? À moins d’avoir la chance de travailler dans ces spécialités ou d’en être passionné, la question ne vous a sans doute pas effleuré l’esprit. Et ce n’est pas un reproche ! Le rythme incessant de la vie moderne et ses contraintes angoissantes ne nous laissent guère le temps d’apprendre, de penser ou de rêver… Mais tout n’est pas perdu !

Avant de quitter définitivement notre planète et d’explorer les confins de l’espace, la contradiction que présente l’état actuel de l’humanité devra se résoudre d’une façon ou d’une autre : soit nous allons tous être détruits par l’avidité d’une minorité de nos semblables au cours de prochaines décennies (la survie de ladite minorité n’étant même pas assurée), soit nous allons trouver tous ensemble une façon d’enfin remobiliser nos moyens pour nous assurer une survie pérenne et profitant à tous. Au passage, il se pourrait bien que nous trouvions enfin à nous (re)concentrer sur la structure la plus complexe mais aussi la moins comprise dont nous ayons connaissance : notre cerveau.

Une merveille dont la compréhension nous dépasse encore… 

Si la nature devait avoir son chef-d’œuvre ce serait, à notre connaissance en 2023, le cerveau humain ; celui-ci se compose de 100 MILLIARDS de neurones, chacun ayant au moins plusieurs milliers de connexions avec les neurones l’entourant, et ce au moins plusieurs fois par seconde 1 ! Les neurosciences commencent à peine à appréhender toute la complexité de cette belle mécanique 2, et nombres d’éléments à son sujet échappent encore à notre compréhension : la nature des connexions entre les neurones, la cartographie de celles-ci et la façon dont l’information est traitée par ces dernières commencent à peine à être entrevues par la science grâce aux progrès des scanners 3. Et il reste encore énormément à découvrir et à étudier ! Les plus grands ordinateurs peinent à simuler plus d’une petite portion du cerveau pour étudier sa logique de calcul la plus basique, et sans même pouvoir le faire en temps réel 4. Ses opérations plus complexes comme les émotions restent pleines d’inconnues 5, et nous ne savons absolument pas comment émerge la conscience 6

La conscience est, du moins pour l’instant, l’un des traits distinctifs de l’humain et d’au moins certains animaux, et elle modèle notre expérience de la vie et du monde sans être entièrement liée à notre intelligence 7. Il est d’ailleurs possible que l’intelligence existe sans conscience ; il est très incertain que des programmes informatiques sophistiqués atteignent un jour le stade de la conscience 8, mais ils dépassent déjà nos cerveaux en termes d’intelligence pure dans de nombreux domaines : calculs mathématiques, traitement des informations… Cela avec un apparent détachement (si l’on fait abstraction des biais induits par les programmateurs de ces modèles) qui ferait presque envie à certains esprits se voulant froids. Avant même que nous ayons fini de comprendre notre cerveau, certains tentent déjà de créer des implants neuronaux pouvant nous débarrasser d’émotions indésirables 9, et la conscience elle-même pourrait être altérée de cette façon… Le véritable horizon futur de l’humanité, ou du moins de sa portion ultra-privilégiée ? 

…Et dont nous n’utilisons même plus toutes les capacités ! 

Il est extrêmement difficile de théoriser ce que serait un humain sans conscience ou une IA consciente, mais nous n’avons pas besoin d’aller aussi loin pour (re)découvrir des merveilles neurologiques en chacun d’entre nous. Pour l’instant ce ne sont pas les puces électroniques qui assaillent les derniers espaces libres de nos cerveaux et de nos consciences : notre mémoire, notre apprentissage, notre raisonnement, notre repos, notre sommeil et nos rêveries sont déjà attaquées de toute part par des injonctions fébriles et frénétiques à travailler toujours davantage et à nous divertir uniquement par l’achat de produits de plus en plus formatés. Dans ces circonstances, la majorité des gens ne connaissent plus en général qu’un seul état de conscience standard, alors que le cerveau humain est naturellement capable, par seul auto-entraînement ou avec un peu d’aide chimique, d’états de conscience altérée : hallucinations, méditation, transe, rêves… Et, malgré ses tentatives pour les monétiser, le capitalisme n’a pas d’usage pour ces états au potentiel transcendantal. 

De nombreuses formes de chamanismes ancestraux faisaient appel à ces états de conscience altérée 10, parfois induits à l’aide de substances psychoactives. Dans beaucoup de cultures, ces pratiques patiemment apprises et comprises servaient à trouver un sens profond à l’existence ou à atteindre une forme de tranquillité 11. Aujourd’hui, la « spiritualité », en tant que cheminement personnel, est à la fois moquée comme supposée triviale et vidée de son sens ; à travers l’appropriation culturelle et la commodification de ces pratiques, le capitalisme cherche à faire de la « spiritualité » un produit interchangeable et remplaçable, sans sens autre que commercial et sans capacité à changer notre perspective sur le monde matériel. Je ne dis pas qu’il existerait bel et bien un monde des esprits ni qu’il faudrait s’engager dans une vie d’ascétisme en pleine nature ! Seulement, quand on en a le temps et les moyens, ce qui reste un privilège, on peut exercer ses capacités à méditer ou à imaginer et y trouver de nouvelles formes de sérénité ou d’optimisme qui peuvent transformer notre façon de voir le monde et nous pousser à vouloir le changer en bien…  

Un refuge dans lequel se cacher… et duquel ressortir le moment venu

Dire que les inextricables territoires neuronaux, chimiques et électriques dans nos têtes seraient le dernier refuge de l’existence ne semble pas, au premier abord, être le constat le plus optimiste ! 

Mais je vous garantis que, pour une personne aussi anxieuse que moi, et probablement aussi anxieuse que vous face à l’état du monde, cette cachette inviolable est d’un grand réconfort. Je peux m’y rendre tranquille, et y imaginer des mondes entiers, futurs possibles ou créations intégrales. De quoi adoucir l’existence… Mais aussi et même vouloir la changer une petite chose (ou un petit grain de sel !) à la fois… 

1 https://www.mpg.de/brain

2 https://scopeblog.stanford.edu/2016/11/08/challenges-in-neuroscience-in-the-21st-century/

3 https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/teenbrain/work/how.html

4 https://www.extremetech.com/extreme/163051-simulating-1-second-of-human-brain-activity-takes-82944-processors

5 http://www.scholarpedia.org/article/Neural_basis_of_emotions

6 https://theconversation.com/science-as-we-know-it-cant-explain-consciousness-but-a-revolution-is-coming-126143

7 https://www.scientificamerican.com/article/what-is-consciousness/

8 https://www.psychologytoday.com/intl/blog/biocentrism/202302/will-ai-ever-be-conscious

9 https://www.vice.com/en/article/3bjaay/there-is-now-a-brain-implant-that-can-control-emotions-wirelessly-253

10 https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fphar.2021.619890/full

11 https://www.britannica.com/topic/shamanism