Fées et Destins Tragiques

27 objets du système solaire ne sont pas nommés à partir de dieux, de déesses ou d’autres entités supérieures issues de panthéons pré-chrétiens. Miranda, Ariel, Umbriel, Titania, Obéron et leurs coreligionnaires doivent leurs noms à des pièces de Shakespeare ou à des poèmes d’Alexander Pope. Ce qui leur a valu ces noms étonnants ? Avoir d’abord été découvertes par des anglais ! Ce qui les réunit ? Ce sont des lunes d’Uranus !

Une famille étrange…

Uranus est sans conteste une planète bizarre, avec beaucoup de caractéristiques pour le moins inattendues. L’une d’entre elles est l’inclinaison de son axe de rotation, supérieure à 90°, qui fait qu’elle semble « rouler » sur son orbite plutôt que d’y tourner bien droite comme une planète bien élevée ! Mais il y a plus surprenant encore : presque tout ce qui tourne autour d’Uranus se trouve aussi sur un plan orbital incliné à plus de 90° par rapport à celui du reste du système solaire !

  1. Les anneaux d’Uranus : Uranus possède un système d’anneaux notables même si, surtout comparés à ceux de Saturne, ils sont petits, espacés et très peu brillants. Les plus denses d’entre eux n’ont d’ailleurs été découverts qu’en 1977 à la faveur d’une occultation d’étoile. Comme les 13 anneaux recensés d’Uranus suivent le plan orbital de leur planète, les observateurs et observatrices terrestres les voient généralement du « dessus » ou du « dessous » !
  2. Les lunes principales d’Uranus : toutes les cinq grandes lunes d’Uranus suivent également le plan orbital de leur planète-mère. Cela signifie donc qu’elles se sont soit formées après que l’axe de rotation de leur planète se soit « couché », soit qu’elles ont émergé directement du cataclysme ayant poussé leur planète dans la position qu’elle conserve encore 1 !
  3. Les lunes mineures extérieures d’Uranus : au nombre de neuf, elles sont les seules à ne pas suivre le plan orbital « aberrant » du reste du système uranien. Ces corps célestes, dont aucun ne dépasse les quelques dizaines de kilomètres de long dans leur plus grande dimension, sont selon toute vraisemblance d’anciens astéroïdes. D’anciens astéroïdes capturés par Uranus peu après sa stabilisation ou au fil des âges. Important indice en ce sens : toutes ces lunes mineures sauf une tournent autour de la planète en sens rétrograde. 

Le cortège d’Uranus, avec ses noms choisis d’après des esprits facétieux et de fées éthérées, semble donc se montrer à la hauteur de son étrange souveraine. Pour l’essentiel, il la suit dans son improbable « roulement » depuis des milliards d’années, peut-être même depuis l’aube du système solaire… 

… Dont chaque membre a ses lubies 

Cinq des lunes d’Uranus sont assez grandes pour avoir adopté une forme sphérique ; toutes sont bien plus sombres qu’attendues pour des corps en bonne partie composés de glace, notamment en comparaison d’autres satellites glacés comparables. Enfin, chacune, au niveau individuel, porte ses propres surprises… Et mystères. 

  • Obéron : avec un diamètre d’environ 1 525 km, la plus extérieure des grandes lunes d’Uranus est aussi seconde par la taille dans le système uranien. Nommée d’après le roi des fées du Songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, cette lune semble composée à parts égales de roche et de glaces diverses ; ces matériaux se sont sans doute différenciés en son sein et un océan sous-glaciaire a pu y exister. Obéron, qui comme l’écrasante majorité des lunes du système solaire, présente toujours la même face à sa planète, a également la particularité d’avoir un hémisphère « avant » beaucoup plus rouge que son hémisphère arrière. Cela est peut-être dû aux impacts réguliers de poussières dont les points d’impacts sont ensuite altérés par le rayonnement cosmique. 
  • Titania : nommée d’après la reine des fées du Songe d’une nuit d’été, cette lune porte bien son nom : avec 1 578 km de diamètre, elle est le plus grand satellite d’Uranus. Elle orbite plus proche de la planète qu’Obéron, dont elle serait très proche en termes de composition et de structure interne. Ses caractéristiques visibles semblent indiquer qu’elle a subi un « ressurfaçage » global dans les millions d’années ayant suivi sa formation : son océan d’eau liquide aurait permis le remodelage de sa croûte externe qui présente peu de traces d’impacts très anciens. La survie de cet océan jusqu’à notre époque reste très incertaine ; il faudrait renvoyer une sonde sur place pour s’en assurer. 
  • Umbriel : toujours plus proche d’Uranus orbite Umbriel, dont le nom est issu d’un esprit crépusculaire mélancolique apparaissant dans le poème héroï-comique Le Rapt de la boucle d’Alexander Pope. Ce nom ombrageux semble bien choisi pour ce satellite d’environ 1 174 km de diamètre. En effet, il est le plus sombre des satellites d’Uranus et l’un des plus sombres du système solaire ! Cette caractéristique est peut-être due au fait qu’Umbriel traverse à chaque orbite la queue du champ magnétique uranien et se fait bombarder de particules ionisées à chacun de ces passages. Elle se compose essentiellement d’eau, mais la présence d’un océan sous-glaciaire semble très incertaine, notamment aux vues de sa surface ne présentant pas de signes d’activité endogène. 
  • Ariel : le raccourci est tentant, mais la quatrième plus grande lune d’Uranus par la taille et la proximité n’est pas nommée d’après une fameuse sirène aux cheveux rouges ! Son nom est celui d’un esprit du ciel issu de l’œuvre d’Alexander Pope, mais aussi celui de l’être assistant le héros de La Tempête de Shakespeare. Mesurant environ 1 160 km de diamètre, Ariel est le plus brillant des satellites d’Uranus, notamment grâce à d’importantes zones très claires. Sa surface paraissant géologiquement relativement jeune semble indiquer que, au moins à un moment de son histoire, Ariel disposait d’un océan sous-glaciaire. La persistance de cet océan jusqu’à maintenant, quoi qu’incertaine, n’est pas impossible
  • Miranda : la plus intérieure des grandes lunes d’Uranus est aussi celle dont la découverte est la plus récente ; elle n’est connue que depuis 1948. De même, elle est la seule nommée d’après un personnage humain, l’héroïne de La Tempête. Ce ne sont cependant pas ces caractéristiques « culturelles » qui distinguent cet astre mesurant à peine 470 km de diamètre et seulement vaguement sphérique ! Non, si Miranda est régulièrement mentionnée dans la liste des lieux improbables du système solaire, c’est parce que sa surface essentiellement composée de glace d’eau montre des formations remarquables ! Elle présente en effet d’importants systèmes de plateaux montagneux que séparent d’immenses canyons longs de plusieurs centaines de kilomètres et des falaises toisant plus de vingt kilomètres de haut, les plus hautes connues dans le système solaire ! Comment un aussi petit satellite peut-il présenter un relief aussi spectaculaire ? Les scientifiques n’ont pas encore d’explication définitive à ce sujet, mais ils suspectent désormais l’influence gravitationnelle d’Uranus 2

Le cortège des lunes d’Uranus ne manque pas d’intérêt, comme on l’a vu, mais il pose plus de questions qu’il ne donne de réponses. Pourrait-il y avoir des océans liquides sous les surfaces de certains de ces petits mondes ? Pourquoi Miranda présente-t-elle une surface aussi spectaculaire ? La majorité des connaissances que nous avons à leur sujet proviennent de l’unique survol effectué par un appareil humain, celui de Voyager II en 1986. Peut-être le signe qu’il est plus que temps d’envoyer une nouvelle sonde explorer Uranus et ses lunes (le double-sens est assumé !). 

1  https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0019103521004851

2   https://www.space.com/27334-uranus-frankenstein-moon-miranda.html