Mars, l’obsession malsaine

Mars ci, Mars ça, des orbiteurs, des rovers, un drone, un échantillonnage, des projets d’exploration humaine surmédiatisés… Il n’y en a que pour elle ! Depuis des dizaines d’années Mars échauffe jusqu’aux esprits proclamés les plus pragmatiques. Pourquoi un tel engouement ? Est-il vraiment justifié ? Est-ce que nous devrions vraiment établir une présence humaine permanente à sa surface dans les décennies à venir ? Tour d’horizon !

Un petit monde qui attire l’attention de l’humanité… 

Mars, dieu des soldats et de l’âpreté au combat chez les romains, Nergal, dieu du feu et de la destruction de la Mésopotamie antique, Angaraka, dieu guerrier du védisme, Huǒ Xīng, l’Étoile de Flamme de la Chine Ancienne (dont le nom persiste tel quel en Mandarin moderne)… Son éclat couleur rouille a toujours valu à la quatrième planète du système solaire des associations avec des divinités ou des concepts franchement incendiaires, par-delà les cultures et le temps. 

Mars, en tant qu’astre, est pourtant une demi-portion

  • Mars est petite : 6 792 km de diamètre, soit à peine la moitié du diamètre de la Terre, et seulement un gros dixième de la masse de notre planète ! La gravité à la surface de la planète rouge n’équivaut qu’à 38% de celle que nous ressentons
  • Mars est à l’heure actuelle quasi-inactive d’un point de vue géologique ; sa surface n’a pas subi d’importants changements endogènes depuis des centaines de millions voire des milliards d’années
  • Mars est souvent très froide, la température moyenne annuelle sur place étant de -63°C
  • Mars est dénuée d’atmosphère dense : sa pression atmosphérique n’équivaut même pas à 1% de celle que nous ressentons au niveau de nos mers 
  • Mars est désespérément sèche : sans pression, l’eau ne peut se maintenir sous forme liquide à la surface de Mars, alors celle que possède la planète est pour l’essentielle piégée dans ses calottes polaires… 

Tel est le portrait peu attirant qu’ont dressé nos mesures de plus en plus précises au cours des dernières décennies. Disparus, les rêves cauchemardesques de Martiens constructeurs de canaux 1, avides de nous envahir 2 ou esthètes spirituels 3… À l’heure de l’écriture de cet article (fin 2023) il n’est toujours pas certain que des formes de vie natives existent ou aient existé sur Mars, même si la possibilité reste envisageable.

En effet, par le passé, Mars présentait un aspect bien différent : 

  • Mars présente très clairement des signes d’érosion hydrologique : il y a de cela des milliards d’années, des rivières impétueuses coulaient à sa surface, et un océan recouvrait peut-être la majorité de son hémisphère nord
  • Mars avait donc une atmosphère dense aux températures relativement clémentes pour permettre à l’eau liquide de se former et de se maintenir assez longtemps pour éroder les roches
  • Mars présente actuellement d’immenses volcans éteints, signalants qu’à plusieurs moments de sa longue histoire elle fut doté d’une géologie beaucoup plus active 
  • Mars présente, dans certaines roches anciennes, les traces d’un champ magnétique puissant mais désormais disparu, qui protégeait à l’époque son eau liquide et son atmosphère des radiations solaires… 

Toutes ces conditions sont considérées comme ayant été cruciales pour l’apparition et le développement de la vie sur Terre. Que s’est-il passé sur Mars ? C’est sans doute sa petite taille qui est à blâmer : son noyau moins lourd a refroidi plus vite que celui de la Terre, entraînant la disparition de l’effet dynamo générant son champ magnétique, et de là son atmosphère a été petit à petit « soufflée » par le vent solaire tandis que les volcans s’éteignaient petit à petit à leur tour… 

…À la surface duquel la vie humaine serait incroyablement ardue

Trouver des formes de vie extraterrestres, même microscopiques, même fossiles, ne serait-ce pas une justification suffisante pour envoyer des humains sur place ? Pourquoi devoir se contenter d’engins automatisés, aussi efficaces soient-ils, pour cette tâche existentielle ? Et qu’en est-il de l’idée plus discutable d’y établir une « arche » pour l’humanité en cas de dégradation irrémédiable de la Terre ?  

Les défis à l’établissement d’une colonie martienne, voire même à une simple visite humaine, restent nombreux, même avec les technologies actuelles : 

  1. Le voyage, est long, très long : il faut au moins 6 mois pour rejoindre Mars, et encore, cette durée optimale n’est disponible qu’une fois tous les deux ans, lorsque notre planète passe au plus près de sa voisine
  2. Rien ou presque n’est directement exploitable sur Mars : le sol est stérile, la glace d’eau enterrée, l’énergie chiche du fait de la distance plus grande au Soleil. Il faudra pendant longtemps tout apporter avec soi, et si un ravitaillement échoue, l’équipe sur place sera privée de ressources pendant plus de deux ans… 
  3. Les conditions de vie sont extrêmement rudes : la surface de Mars n’a aucun filtre pour les radiations solaires en quantités nocives. On pourrait imager d’enterrer les bases dans de profonds tunnels de lave 4 pour utiliser la roche comme isolant, mais cela ne serait d’aucune utilité contre le froid mordant ou encore la poussière abrasive et très fine s’insinuant partout et causant des micro-lésions à la peau et aux voies respiratoires… 
  4. Comment réagiraient des humains, confinés de la sorte dans des lieux de vie minuscules, sous une pression psychologique effroyable, avec le même groupe restreint, pendant des années voire des dizaines d’années ? La question ne s’est jamais posée sur Terre, sauf à l’extrême limite dans les stations établies en Antarctique : la plupart des scientifiques ayant vécu sur le continent austral admettent que l’expérience est éprouvante 5
  5. Sans parler en termes purement pécuniaires, un tel programme serait extrêmement coûteux en matière de ressources matérielles, de temps et de savoir-faire. Il exigerait sans doute une très importante coopération internationale. Pour qui suit les hauts et surtout les bas de la diplomatie mondiale, l’équation paraît difficile à résoudre… 

Pour l’instant, les rovers, les atterrisseurs et les drones ont encore toute leur place dans les recherches d’organismes présents ou passés à la surface de Mars ! Quant aux humains qui veulent vivre dans un désert spatial soumis aux radiations, aux variations de températures infernales et au régolithe abrasif s’insinuant partout, ils n’ont pas besoin d’aller jusqu’à Mars pour l’instant : il leur suffit de s’amuser un peu sur la Lune ! Alors, qui sait, l’expérience acquise permettrait peut-être une tentative moins aventureuse de s’établir sur la planète rouge… 

1   https://www.britannica.com/place/canals-of-Mars

2  https://www.theguardian.com/tv-and-radio/2020/jul/14/war-of-the-worlds-the-pioneering-work-of-science-fiction-inspired-by-australian-brutality

3 http://academic.depauw.edu/aevans_web/HONR101-02/WebPages/Spring2006/Johnson(Ryan)/Analysis.htm

4  https://en.wikipedia.org/wiki/Martian_lava_tube

5  https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2018.02235/full