Vous ne vous êtes jamais lancé dans un voyage ou même dans un simple trajet qui semblait mal parti en vous disant « allez, ça va le faire ! » Et au final, vous avez réussi ! Cet état d’esprit peut sembler cavalier voire même franchement imprudent… Mais il mène parfois à des résultats spectaculaires, de notre établissement sur l’ensemble de notre planète à nos premiers pas sur un autre astre !
Avant même l’apparition de sapiens, le genre Homo s’était déjà répandu hors de l’Afrique 1. Pendant des millions d’années nos ancêtres se sont lancés vaillamment dans de grands voyages sans retour. Ils y étaient poussés par les aléas de leur environnement, par leur quête de nourriture… Ou même par leur curiosité déjà bien ancrée. Les notions mêmes de « chez soi » et de « rentrer chez soi » n’existaient probablement pas ; l’idée de risque, par contre, s’avérait peut-être déjà concevable, mais les gains potentiels suffisaient à dépasser la peur. Une mentalité qui a payé : nous descendons tous et toutes de ces premiers explorateurs et de ces premières exploratrices !
Les dernières îles entièrement à découvrir
À la toute fin de la préhistoire, les humains étaient passés de déplacements par leurs propres moyens physiques (à pied quoi !) à un autre expédient : le bateau 2. Un modeste radeau ou un simple canoë peut nous sembler terriblement basique, mais pareils objets révolutionnèrent le destin de notre espèce, tout en l’exposant à des dangers environnementaux décuplés. Une étendue d’eau, surtout la pleine mer, est un environnement incroyablement hostile pour un être humain qui s’y perdrait sans ressources : noyade et, paradoxalement, déshydratation sont les deux destins les plus probables en pareille situation. Mais notre planète est couverte à 71% d’océans, et nombre de terres riches de ressources et de promesses se trouvaient au-delà de cette barrière naturelle.
Au début de l’époque « moderne », les premiers polynésiens se lancèrent dans l’immensité du Pacifique à bord de grandes pirogues, sans boussoles ni gouvernails pouvant maintenir un cap. Ils traversèrent au moins plusieurs semaines d’affilée des milliers et des milliers de kilomètres de mer déchaînée pour atteindre des îles qu’aucun autre animal terrestre n’avaient abordé depuis au moins des millions d’années : ce n’est pas pour rien que la Nouvelle-Zélande abritait des ratites coureurs géants (les Moas) et Hawaï un étrange canard nocturne et aptère (le canard-taupe de Kaua’i). L’évènement n’a évidemment pas été bénéfique à ces malheureux oiseaux, décimés par les humains et leurs compagnons volontaires ou non (chiens, cochons et rats).
Aujourd’hui, l’exploit des polynésiens et des polynésiennes du premier et du deuxième millénaire de notre ère paraît presque inconcevable 3. Mais c’est oublier qu’un bateau multicoque de bois est déjà une création d’ingénierie remarquable, et que celle-ci était opérée par des navigateurs et des navigatrices ayant développé des compétences d’une remarquable complexité et précision : suivre un cap en se référant aux astres, deviner la proximité d’une île dans le sens des vagues ou la forme des nuages et la présence d’oiseaux marins 4 5 … Surtout, ils et elles étaient armées d’un courage à toute épreuve, qui leur permit avec leurs maigres réserves de nourriture de garder leur cap !
Sauts dans l’inconnu
Un autre grand accomplissement du genre humain, plus récent et mieux connu du grand public, est l’atterrissage, ou plutôt l’alunissage habité sur le corps extraterrestre le plus proche de nous en 1969. Après la traversée de l’océan, ne restait plus que la traversée de l’espace ! Bien entendu, le programme Apollo était incroyablement complexe et faisait appel aux esprits les plus brillants de l’époque, mais c’est oublier qu’il s’agissait aussi d’un incroyable acte de foi ! Après tout, une fusée n’est jamais qu’un immense réservoir de combustible ne demandant qu’à s’enflammer, propulsant en cas de succès sa charge utile dans un environnement dénué d’air, exposé au froid et aux radiations de l’espace…
On oublie également que, selon nos standards modernes quarante-cinq ans plus tard (cet article est publié début 2024), les modules lunaires du programme Apollo paraissent… archaïques. Ils étaient entièrement conçus, fabriqués, assemblés et inspectés à la main, presque sans la moindre aide informatique. D’ailleurs l’informatique de l’époque culminait avec l’ordinateur de guidage du module Apollo 6, un appareil dont les spécifications paraissent absolument ridicules à l’heure actuelle : 16 bits de capacités de traitement et 2048 mots de mémoire interne. C’est avec cette machine que Neil Armstrong et Buzz Aldrin ont fait de l’humain une espèce véritablement spatiale, rapporté nos premiers échantillons de roches extraterrestres et abandonné d’authentiques sacs à merde sur un autre astre 7.
Le but n’est pas de minimiser les accomplissements d’Apollo, au contraire ! Il paraît en fait d’autant plus incroyable d’avoir réussi à traverser les quelques 385 000 km nous séparant de notre satellite à bord d’un engin auquel peu de personnes confieraient leur vie à l’heure actuelle. L’atterrisseur laissé dans la Mer de la Tranquillité reste un extraordinaire testament non seulement de l’ingéniosité mais surtout de la folle ténacité de notre espèce. Même si les moyens déployés ne semblent pas les plus adaptés à la tâche, nous y parvenons. À présent encore et toujours, après nous avoir fait traverser l’océan le plus vaste que nous connaissons et poser le pied sur l’île spatiale la plus proche, c’est cet état d’esprit, cette idée de dépassement, qui va aussi continuer à nous motiver !
1 ↑ https://humanorigins.si.edu/education/introduction-human-evolution
2 ↑ http://www.iro.umontreal.ca/~vaucher/History/Ships/Prehistoric_Craft/index.html
3 ↑ https://www.britannica.com/topic/Kon-Tiki-raft
4 ↑ https://manoa.hawaii.edu/exploringourfluidearth/physical/navigation-and-transportation/wayfinding-and-navigation
5 ↑ https://www.learnz.org.nz/location192/bg-standard-f/polynesian-navigation