Quid de bases spatiales ambitieuses ?

Base lunaire, base martienne, base orbitale… Il est très probable que vous ayez déjà croisé ces dénominations au détour d’actualités plus ou moins sensationnalistes. À en croire certains experts autoproclamés, le but serait d’ailleurs à portée de main, pour peu que nous nous en donnions les moyens. Alors, qu’en est-il ? Sommes-nous bien sur le point de construire le parfait pied « à terre » (ou à rien du tout ?) dans l’espace ? 

Il s’agit de l’un des Graal de la conquête spatiale, d’une marotte abordée dès les premiers théoriciens de l’exploration stellaire : la construction de bases habitables par des humains directement dans l’espace et sur d’autres corps célestes. Or, à certains égards, ce rêve est déjà une réalité, notamment actuellement (début 2024) avec la Station Spatiale Internationale (ISS) et la station spatiale chinoise. Des installations qui permettent notamment de tester les conditions de vie humaine dans l’espace et notamment en micro-gravité ! Évidemment, certains voudraient aller beaucoup plus loin, avec des stations plus grandes, que ce soit en orbite ou à la surface d’autres corps célestes… Qu’en sera-t-il ? 

Une base pour quoi faire ? 

Dans la vie, tout est question de motivation : quand on veut on peut, dit l’adage. Alors, quelles motivations avons-nous pour construire des bases dans l’espace ? La première (au-delà du besoin de se dépasser) est de pouvoir profiter d’une condition environnementale quasi-impossible à simuler sur Terre : l’(illusion d’)apesanteur 1. Ce qui se trouve à bord de l’ISS n’est pas vraiment en apesanteur au sens strict, puisque la station et tout ce qu’elle contient se contente de tomber suffisamment vite pour tourner autour de la Terre, le principe de l’orbite. Quoi qu’il en soit, cette absence de gravité ressentie permet de tester de nouvelles technologies ou les réactions de divers organismes (humains compris !) à cette condition environnementale étrangère. 

Puisque tout cela peut déjà être fait dans de « petits » (tout est relatif) modules à seulement quelques centaines de kilomètres au-dessus de nos têtes, pourquoi vouloir créer un établissement plus grand et plus lointain, que ce soit sur la Lune ou sur Mars ? La nécessité d’une plus grande station orbitale ne se justifie pas vraiment d’un point de vue purement scientifique. Le besoin d’un établissement lunaire pourrait en revanche se justifier pour des recherches astronomiques impossibles sur Terre, pour l’exploitation de ressources locales ou l’usage de notre satellite naturel comme point de départ pour des voyages plus lointains 2. Enfin, pour ce qui est de Mars… Pour l’instant les robots s’en sortent très bien et l’idée de faire de la planète rouge une « sauvegarde » à l’humanité paraît assez risible, avec notre niveau de connaissances actuel. 

Comment la construire ? 

Admettons que, malgré tout, on trouve assez de raisons pour motiver la construction d’une base martienne internationale, ou imaginons même qu’un milliardaire survivaliste paranoïaque se lance dans l’entreprise. Comment s’y prendre ? L’option apparaissant immédiatement comme la plus évidente serait de préparer tous nos éléments de construction, ici sur Terre, puis de les envoyer à destination pour les assembler sur place. Facile non ? Non. Car il faudrait pour cela passer par moult fusées « classiques » très dispendieuses, ou alors encore plus de moyens d’envoi alternatifs. Sans compter que, même si on peut tout envoyer dans l’espace à moindre frais, poser quelque chose sur Mars est tout sauf facile 3 : augmentez le poids ou la quantité de choses à poser et le risque d’accident catastrophique augmente considérablement.  

Une alternative séduisante sur le papier a régulièrement été proposée : utiliser les ressources disponibles sur place pour construire le gros de l’habitat destiné aux explorateurs et aux exploratrices 4. La poussière abrasive accumulée au fil des âges sur la surface de Mars (ou de la Lune) pourrait théoriquement être agglomérée dans la forme voulue pour créer des bâtiments… Mais comment traiter cette matière première, si tant est qu’elle soit exploitable ? Le même problème se pose d’ailleurs avec l’oxygène et les autres composés chimiques nécessaires pour produire du carburant, des nutriments, de l’énergie… Bref, tout cela est théoriquement faisable mais il persiste nombre de variables à tester quant à la mise en pratique…

Comment réussir à bien y vivre ? 

Enfin, imaginons que notre « pied-à-Lune » ou notre « pied-à-Mars » soit enfin debout, qu’il soit fait de modules pré-produits sur Terre ou de ciment lunaire ou martien. Est-ce qu’on peut vivre confortablement dans cette installation ? Même si les difficultés de construction sont surmontées, il ne s’agira clairement pas d’un établissement hôtelier de grand standing : les pièces seraient exiguës, séparées par des portes étanches gardées fermées aussi souvent que possible pour prévenir tout risque de dépressurisation généralisée. Il n’y aurait évidemment pas de fenêtre, pour se protéger des radiations, et les sorties seraient rares pour éviter de faire entrer de la poussière abrasive dans l’habitat 5

Et ça, ce ne serait que pour la vie au jour le jour ! À long terme, l’enfermement dans cet espace clos pourrait présenter des conséquences psychologiques délétères 6… Et plus vous passez de temps sur la Lune ou Mars, plus le risque augmente que votre lieu de résidence soit frappé par une météorite plus ou moins grosse qu’aucune atmosphère significative n’aura ralentie 7. Bref, l’ensemble du séjour se déroulera dans des conditions spartiates et sous une pression intense qui pourrait mettre la vie des participant•e•s aussi sûrement en danger que les conditions hostiles régnants à la surface de ces astres. 

Rien de totalement insurmontable pour qui cherche l’adrénaline, mais rien de vraiment tentant pour le commun des mortels… Si les grandes bases spatiales humaines finissent par devenir une réalité, il faudra avoir fait de grands progrès à bien des niveaux ! 

1    https://www.nasa.gov/missions/station/15-ways-the-international-space-station-benefits-humanity-back-on-earth/

2   https://www.nationalgeographic.com/adventure/article/131220-lunar-research-base-mars-mission-science 

3   https://theconversation.com/decades-of-attempts-show-how-hard-it-is-to-land-on-mars-heres-how-we-plan-to-succeed-in-2021-69734

4    https://www.wired.com/story/how-nasa-plans-to-melt-the-moon-and-build-on-mars/

5   https://medium.com/@adammann930/the-problem-with-dust-on-the-moon-and-mars-2a916162b864

6    https://www.researchgate.net/publication/11496011_Psychosocial_issues_in_long-term_space_flight_overview 

7   https://www.space.com/21248-moon-meteor-impact-lunar-risks.html