Pourquoi on aime tous regarder les étoiles ?

 

Il suffit de lever la tête vers un ciel de nuit dénué de nuages et… la magie opère. Quels que soient votre âge, genre, origine, sensibilité et peu importent vos centres d’intérêt, il y a de fortes chances que vous ressentiez une certaine forme de tranquillité à observer les étoiles.  Mais pourquoi y sommes-nous tous sensibles ? Depuis combien de temps ?

Qu’avons-nous presque tous perdu depuis le paléolithique ? Certains vous répondront sûrement « l’alimentation ! » ou « l’activité physique ! » et tenteront de vous vendre un « régime paléo » ou un « programme de musculation paléo ». Cependant la vie des chasseurs-cueilleurs de l’époque devait être éreintante en terme de nutrition et d’efforts corporels destinés à fournir celle-ci : les restes humains datant de cette période présentent de nombreuses traces de blessures probablement subies dans cette quête cruciale1. Sachant cela, les programmes « paléo » fantaisistes n’activent chez moi aucune nostalgie atavique. Non, je pense que nous avons perdu une chose beaucoup plus importante et surtout bien plus digne d’être regrettée depuis le paléolithique : les ciels clairs et le temps de les contempler.

Pourquoi sommes-nous fascinés par le ciel nocturne ?

Dès la sédentarisation et l’invention de l’agriculture, des pans entiers de la population se sont retrouvés encore plus épuisés par le travail aux champs ou l’artisanat, et c’est sans doute à ce moment que l’observation du ciel nocturne est devenue l’apanage quasi-exclusif d’une élite politico-religieuse2. Enfin, bien plus tard, à partir du XIXème siècle, la pollution atmosphérique et lumineuse a occulté les étoiles une à une. Si vous vivez en ville et en avez l’occasion, à la nuit tombée, relevez la tête, même quelques instants : seules sont visibles de rares étoiles éparses, peut-être accompagnées de la Lune et de Vénus, de Mars ou de Jupiter selon le moment du mois ou de l’année. Comme plus des trois quarts de l’humanité à l’heure actuelle, vous n’avez plus accès à un ciel nocturne sans pollution atmosphérique et lumineuse3

Les ciels couverts d’étoiles que vous ne connaissez qu’en photo étaient pourtant visibles à l’œil nu, à l’endroit même où vous vivez, il y a de cela bien plus de 50 000 ans, lorsque les premiers Homo sapiens ont foulé le sol de l’Europe occidentale4. À l’époque, le continent était beaucoup plus froid et largement couvert de forêts ; des animaux inconnus de ces premiers humains anatomiquement modernes habitaient ces bois profonds. Imaginez un instant que vous êtes l’une de ces chasseuses ou l’un de ces chasseurs nomades un instant : la journée a été terriblement fatigante et insatisfaisante, une quête sans fin de maigre pitance ; entre les futaies sombres, les grognements, les piaillements et les hululements effrayants montent avec l’obscurité. Vous levez les yeux et… La voûte céleste, dénuée de nuages, vous émerveille : elle est pleine de scintillements, tous indifférents au tumulte sans fin qui vous entoure.

La compréhensible envie de tout arrêter pour regarder les étoiles…

Aujourd’hui le vrombissements incessant des voitures a remplacé les bruissements des animaux inconnus, et le supplice de la faim a été chassé par le stress du travail au bureau. Nous savons à présent ce que sont les étoiles et les planètes, elles ne semblent plus avoir beaucoup de mystères pour nous, et pourtant… Quand vous relevez la tête, à l’issue de nouvelles heures supplémentaires indues, dans l’agitation impersonnelle des rues, les quelques loupiotes dont la lumière vous parvient encore vous forcent presque à un état de fascination diffus, sans mots, même si les lois de la physique ou l’astronomie vous sont indifférentes. Vous connaissez alors ce qui se rapproche le plus d’une expérience universelle, dont chaque humain pourrait faire l’expérience : une échappée hors du temps, hors du monde, les yeux et l’attention perdues entre les astres. Les longues sessions de contemplation des étoiles semblent d’ailleurs avoir les mêmes bénéfices physiologiques, neurologiques et psychologiques que la méditation : abaissement du rythme cardiaque, stabilisation des taux d’hormones liées à l’anxiété, à la fatigue et à la joie, sensation de tranquillité profonde5… Depuis toujours, notre cerveau et notre corps s’apaiseraient dans la contemplation des étoiles.

Ils ne sont pas qualifiés de « paléo », mais les programmes de « méditation guidée » en lien avec le « stargazing » sont de plus en plus à la mode dans les pays anglo-saxons, et notamment aux États-Unis. Ceux-ci ont peu de chances de vous débarrasser de votre stress et de votre fatigue chronique si vous ne changez pas non plus votre mode de vie et ne faites pas appel à un professionnel de santé, mais leurs doux bénéfices sont quand même bons à prendre. L’observation tranquille des étoiles pourrait après tout très bien être indissociable de la nature humaine : si certains oiseaux migrateurs maintiennent leurs caps à l’aide d’astres spécifiques6, il n’existe à ma connaissance aucun autre comportement de contemplation stellaire chez une autre espèce du règne animal.

Et ensuite ?

Ainsi, depuis des temps dont seul notre code génétique garde les souvenirs, les humains ressentent une forme d’apaisement en admirant la beauté mystérieuse et insondable du ciel. Il ne leur fallut cependant pas longtemps pour tenter de les appréhender avec des mots, de leur donner un sens : dès la fin du paléolithique, certains objets gravés7 et certaines peintures pariétales8 semblent avoir eu pour but de représenter les constellations. Vous aussi, passé l’émerveillement primaire et primordial, vous tentez sans doute d’apposer à ces faibles lueurs vos mots et vos connaissances : est-ce Vénus ou Mars là, à proximité du croissant de Lune ? Arcturus ou Aldébaran ? Ce désir d’expliquer, d’apposer un sens là où ne semble régner que chaos, est également profondément humain. Et nous en reparlerons très bientôt…

1 https://humanorigins.si.edu/evidence/human-fossils/fossils/cro-magnon-1

2 https://www.theguardian.com/inequality/2017/dec/05/how-neolithic-farming-sowed-the-seeds-of-modern-inequality-10000-years-ago

3 https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.1600377

4 https://www.nhm.ac.uk/discover/news/2022/february/oldest-evidence-modern-humans-western-europe-discovered.html

5 https://www.healthline.com/nutrition/12-benefits-of-meditation#12.-Accessible-anywhere

6 https://www.scientificamerican.com/article/how-migrating-birds-use-quantum-effects-to-navigate/

7 https://www.science.org/content/article/celestial-fertility-guide

8 https://www.businessinsider.com/ancient-cave-drawings-are-constellations-of-stars-2018-12