Dans presque toutes les sociétés, mentir est globalement mal vu. Et pourtant, tout le monde peut mentir, et l’absolue majorité des gens l’a probablement déjà fait au moins une fois. Mais d’où nous vient cette tendance ? Serait-elle liée entièrement à la nature humaine ? Serait-elle un sous-produit indirect de l’accroissement de notre intelligence au fil des âges ? Partons ensemble à travers l’espace et le temps pour voir chez qui d’autre le mensonge existe, depuis quand et pourquoi !
La communication est peut-être aussi ancienne que la vie elle-même. Or, à en croire les différentes typologies des éléments nécessaires à l’établissement d’une communication, l’exactitude de l’information transmise n’a pas beaucoup d’importance dans l’établissement même de la communication. Ainsi, le principe fondateur de l’acte de communiquer laisserait toujours la place théorique à une erreur (ou contrevérité) ou à une manipulation (le mensonge). Mais trêve de considérations théoriques ! Les animaux ne sont pas capables de mentir n’est-ce pas, ils n’ont ni notre intelligence ni notre duplicité ? Eh bien préparez-vous à être surpris•e !
Le mensonge est répandu sur Terre
Le mensonge est peut-être aussi vieux que la communication complexe elle-même ! Dans le monde animal, on le retrouve à des degrés de complexité et d’intentionnalité divers au sein de très nombreuses (et très distantes) espèces 1. Chez les plantes ou les animaux au système nerveux simple, des phéromones et d’autres composés chimiques peuvent être utilisés afin de manipuler des congénères… ou des proies. Or, produire des molécules complexes n’est pas directement conscient : c’est d’abord la sélection naturelle qui a doté nombre de mouches, d’araignées, de fourmis et de chenilles de cette capacité innée à manipuler d’autres organismes à leur propre bénéfices et au détriment de ceux-ci.
Mais le mensonge conscient existe aussi chez d’autres animaux, faisant usage de nombreux canaux de communication présent dans le monde vivant. Dans la gamme sonore, nombre d’oiseaux émettent de fausses alertes pour éloigner des prédateurs de leurs nids ou encore flouer des compétiteurs. Dans le registre visuel, les seiches ont recours à diverses techniques, en changeant les couleurs de leur peau, pour attirer leurs proies, se séduire ou flouer des rivaux ou des rivales. Même les chiens, pourtant célébrés pour leur fidélité et leur candeur, peuvent se lancer dans des mensonges « stratégiques » pour obtenir plus de nourriture, vainquant leur gourmandise pour conduire à la source de tentation un humain disposé à la partager avec eux.
Le mensonge chez nos ancêtres directs… et chez nous
Dans le grand jeu de la sélection naturelle, mentir est un atout : cela augmente considérablement les chances de se nourrir et de se reproduire. À ce titre, nos plus proches parents dans le monde animal ne sont pas en reste 2. Des informations volontairement erronées ou parcellaires sont régulièrement communiquées entre chimpanzés, bonobos, orang-outangs, macaques… La pratique semble particulièrement répandue chez la majorité des primates. Encore une fois, de nombreux bénéfices peuvent en être tirés, en termes de chance de se nourrir et de se reproduire. Dans la mesure où il est peu probable que la même capacité à produire un comportement aussi complexe soit apparue plusieurs fois, il est très probable que tous nos ancêtres en droite ligne aient été des menteurs !
La pratique du mensonge est d’ailleurs tellement profondément ancrée dans la nature humaine que les toutes premières œuvres philosophiques occidentales, celles-là même qui cherchaient à théoriser la communication, en parlaient. Platon a dévolu une partie de sa philosophie aux mensonges 3, débattant d’ailleurs avec lui-même de leurs potentiels bénéfices. Cependant depuis au moins plusieurs millénaires, le mensonge est teinté d’une négativité quasi-unanime dans notre culture : après tout, le plus célèbre d’entre eux serait, d’après la Bible chrétienne, à l’origine de la déchéance humaine. Certes Ève a écouté le serpent, mais celui-ci a bel et bien menti 4…
Pour aussi déconcertant ou dérangeant que cela puisse être aux yeux de certain•e•s, le mensonge est une composante essentielle du comportement du social. En fait il semblerait même que, partout où la communication se produit, le mensonge puisse prendre sa place, avec des conséquences potentiellement dramatiques pour les uns… Et très positives pour les autres. Et c’est dans ces dernières qu’il faut chercher sa continuation jusqu’à maintenant : le mensonge, sous quelque forme que ce soit, ne disparaîtra sans doute jamais. À nous de faire attention !
1 ↑ https://www.oecd-nea.org/rwm/rkm/
2 ↑ https://www.cambridge.org/core/journals/behavioral-and-brain-sciences/article/abs/tactical-deception-in-primates/100E1747829535A834C21FB6D361D00C