Y a-t-il un système d’écriture idéal ?

Est-ce que tous les systèmes d’écriture se valent ? Pourrait-on les classer en fonction de leur efficacité ? Est-ce seulement envisageable ? Après tout, même si notre bon vieil alphabet latin nous paraît incomparablement plus pratique que les idéogrammes chinois ou l’abjad arabe, c’est avant tout parce que nous en sommes très familiers, et il n’en comporte pas moins des limites flagrantes. Au domaine de l’écrit, chaque système à ses défauts et ses qualités ! Petit tour d’horizon. 

Écriture Idéographique 

Définition : Une écriture idéographique est un système dans lequel chaque symbole a un sens précis ; un caractère représentera ainsi un mot, un concept ou, plus rarement, une fonction grammaticale par exemple. 

Exemples : Caractères chinois (sinogrammes), hiéroglyphes égyptiens, glyphes mayas… 

Avantages : Les idéogrammes présentent des avantages évidents dans la vie de tous les jours ; ils réduisent le nombre de caractères et donc la place nécessaire pour écrire une information, ils permettent d’éviter toute ambiguïté en cas d’homonymie… Mais leur principal bénéfice, c’est qu’ils permettent la compréhension à travers les civilisations et les langues ! Les idéogrammes chinois traditionnels furent ainsi utilisés pour transcrire d’autres langues que le mandarin (le vietnamien, le coréen et le japonais, entre autres, ce dernier utilisant encore les sinogrammes), et des locuteurs et locutrices de langues différentes peuvent lire et comprendre directement des textes étrangers écrits avec ce système 1 ! De plus, les lecteurs et lectrices des caractères chinois classiques peuvent même parfaitement comprendre des textes écrits durant l’antiquité chinoise, même si la langue orale a beaucoup changé au cours des siècles !

Inconvénients : Les systèmes idéographiques ont deux désavantages importants. Le premier est qu’ils nécessitent un temps d’apprentissage très long puisqu’il faut mémoriser des centaines de caractères pour pouvoir lire un texte. Les élèves japonais, taïwanais et chinois ne peuvent lire facilement des textes entiers qu’à partir du collège. De plus, si les idéogrammes permettent de comprendre directement des textes écrits il y a des siècles ou dans d’autres langues, ils ne nous renseignent absolument pas sur la prononciation potentielle des mots et des phrases, puisqu’ils retranscrivent le sens et non la prononciation. Ainsi, à ce jour, personne ne sait avec certitude comment se prononçait les diverses variantes de l’ancien égyptien… 

Écriture syllabique

Définition : Une écriture syllabique est un système dans lequel chaque symbole représente une syllabe ou, en fait, une more ; la more, en linguistique, est une unité de temps phonologique 2, le plus bref son ou assemblage de son pouvant être prononcé. Une syllabe est toujours constituée d’au moins une more, mais peut en comporter plus. Tōkyō, avec ses deux « o » long en version originale, se compose ainsi de deux syllabes mais surtout de quatre mores (To-o-kyo-o). 

Exemples : Le syllabaire cherokee (États-Unis), le syllabaire vaï (Libéria), le syllabaire yi (Chine du sud), le syllabaire ndyuka (Guyane française et Guyana)… Le japonais s’écrit en partie à l’aide de deux systèmes syllabiques (qui retranscrivent en fait les mores des mots concernés), à savoir les hiraganas et les katakanas. Notons également que nombre d’écritures initialement idéographiques ont fini par se changer en syllabaires, comme l’écriture cunéiforme en passant du sumérien aux langues plus tardives. 

Avantages : En lisant une écriture syllabique, toute inscription devient « transparente » : on sait directement comment prononcer ce qui est écrit et (pour peu que l’on parle la langue en question, évidemment) on connaît directement le sens du mot formé par les symboles. Ainsi avec un syllabaire il n’est plus nécessaire d’apprendre des milliers et des milliers de symboles ; seules quelques dizaines sont nécessaires, entre quarante et quatre-vingt dix selon les syllabaires. 

Inconvénients : Toutes les langues ne se prêtent pas facilement à une transcription syllabique. Le système convient par exemple très bien au japonais, dont les combinaisons de sons sont limités, mais ne pourraient pas du tout convenir à l’anglais, qui comporte beaucoup plus de sons et bien plus de combinaisons. Si chaque syllabe existante en anglais devait avoir un symbole propre, il y en aurait des milliers 3… 

Écriture alphasyllabaire, Abjad ou Abugida

Définition : Une écriture alphasyllabaire peut être qualifiée soit de syllabaire simplifié soit d’alphabet (quasi-)sans voyelle. Chaque signe individuel représente une consonne, et la voyelle est entièrement laissée à l’interprétation du lecteur ou de la lectrice dans le cas d’un Abjad, ou suggérée par un signe diacritique (l’équivalent de nos accents écrits !) dans le cas d’un Abudiga.

Exemples : L’écriture arabe, l’écriture hébreu, l’écriture amharique, les syllabaires des peuples autochtones du Canada, la brahmi (le premier système d’écriture du sanskrit) et tous les systèmes graphiques qui en ont découlé : dévanagari, gujarati, tamoul, télougou, cingalais, malayalam, tibétain, mongol, birman, thaï, khmer, lao, javanais, balinais, sondanais, baybayin…

Avantages : Le nombre absolu de signes nécessaire à la transcription écrite est largement plus contenu avec l’usage d’un alphasyllabaire que dans le cas d’un syllabaire ; c’est d’autant plus pratique pour l’apprentissage et l’usage. En plus, sans avoir à écrire les voyelles avec des signes séparés, on aboutit à des textes plus ramassés et plus denses. 

Inconvénients : Le principal problème des abjads et des abugidas, familier de tout apprenant secondaire de l’arabe ou du thaï, c’est qu’il faut souvent « deviner » quelle est la voyelle. Ce qui ne peut se faire qu’avec une très bonne connaissance de la langue en question. Autrement, on risque de faire des interprétations complètement erronées. Ainsi, ces systèmes sont avant tout réservés à des personnes parlant déjà très bien la langue transcrite et non à des apprenants secondaires. 

Écriture alphabétique

Définition : Une écriture alphabétique est une écriture où chaque signe représente un son par utilisation (même si certains peuvent représenter des sons différents selon le contexte ou même être parfois muets). Ceux-ci sont ensuite combinés pour former syllabes et mots. 

Exemples : L’alphabet latin, l’alphabet grec, l’alphabet copte, l’alphabet cyrillique, l’alphabet géorgien, l’alphabet runique, l’alphabet hangeul (coréen)…

Avantages : L’avantage d’un alphabet « pur » est de permettre théoriquement la transcription complète à l’écrit de tous les sons prononcés avec un nombre minimal de signes (entre vingt et trente signes principaux en général selon les alphabets). Non seulement le nombre de signes à apprendre est limité, mais en plus le nombre de combinaisons possibles, et donc la capacité à transcrire, est très élevée !

Inconvénients : Toutes les transcriptions faites à l’aide d’alphabet ne sont pas (ou plus) transparentes. Dans notre cas, celui du français, il suffit de regarder le nombre de lettres belles et bien écrites mais restant silencieuses à l’oral pour s’en convaincre. Sans parler du cas de langues ayant beaucoup plus de sons et aucune règle de transcription stricte, comme l’anglais… L’apprentissage de l’orthographe précise de chaque mot, disjointe de toute transcription vaguement phonétique, est un fardeau propre aux systèmes d’écriture alphabétique.  

La frontière entre ces différents types d’écriture n’est pas toujours extrêmement marquée. Ainsi, en ancien égyptien, les hiéroglyphes étaient utilisés pour leur sens premier (comme des idéogrammes) mais aussi pour le son transcrit (un peu comme les éléments d’un rébus) et de là s’accompagnaient aussi de signes équivalents à des lettres ; les trois systèmes s’utilisaient en conjonction ! À l’époque actuelle, le japonais utilise aussi bien des idéogrammes que des syllabiques. L’écriture arabe, pour transcrire certaines langues, intègre forcément des voyelles (comme pour le kurde).

Même si on aurait tendance à voir une progression « logique » allant des idéogrammes au syllabaire puis à l’alphasyllabaire et enfin à l’alphabet, cette logique n’est pas absolue. Le monde occidental a (semble-t-il) toujours écrit avec un alphabet, et les chinois n’ont jamais délaissé leurs idéogrammes (même si certains ont été simplifiés en Chine même). Enfin, pour revenir aux hiéroglyphes, pendant des siècles les égyptiens combinaient symboles idéographiques, syllabiques et alphasyllabiques au sein des mêmes textes ! Tout était affaire à la fois d’efficacité et de convenance !

1    https://taiwantoday.tw/news.php?unit=20,20,29,35,35,45&post=26075

2    https://www.culturejaponaise.info/lexique/more.html

3    http://semarch.linguistics.fas.nyu.edu/barker/Syllables/index.txt