Aucun de nos accomplissements, en tant qu’espèce, n’aurait pu être fait sans parler ! Depuis les peintures pariétales du paléolithique jusqu’à nos sondes sorties du système solaire en passant par les Pyramides de Gizeh et la Muraille de Chine, nous n’aurions rien créé d’impressionnant sans la langue ! Une fois celle-ci apparue, nous avons progressé plus vite qu’aucune espèce connue, dans la maîtrise de notre environnement et dans nos créations. Mais, au fond, pourquoi ?
Qu’est-ce qui a fait des humains l’espèce dominante sur Terre ? Notre posture debout ? Nos pouces opposables ? Ces facteurs ont clairement contribué, mais c’est du côté de la langue qu’il faut chercher, à en croire une majorité de chercheurs 1. Tous les êtres vivants ou presque communiquent mais nous partageons différemment les informations entre nous. Cela nous est venu très progressivement, avec un enchaînement qui n’est pas encore clarifié et qui n’a rien eu de linéaire. Cependant, quand la langue fut là, il n’y eut plus de retour en arrière possible !
L’abstraction, la source de tout
Les langues humaines sont très différentes des autres langages du monde vivant, c’est un fait établi. De nombreuses descriptions ont été élaborées pour comparer les deux catégories ; parmi elles, on trouve celle de Charles Francis Hockett. Dans les années 1960, l’anthropologue et linguiste américain définit une liste de « composantes » des langages animaux et des langues humaines 2. Parmi ces composantes, seules certaines sont observables exclusivement dans les langues humaines. Outre leur capacité à combiner les sons (ou lettres) pour former des mots, puis à combiner les mots (à travers la syntaxe) pour former des phrases, Hockett définit les langues humaines par ce qu’il appelle le « déplacement ».
Le « déplacement » de Hockett est en fait la capacité à parler de ce qui n’est pas là. Dans toute langue humaine, on peut d’une façon ou d’une autre exprimer quelque chose qui n’est pas devant soi et le rendre compréhensible à la personne à qui on parle et qui ne peut voir la chose en question directement. Cela permet de partager ses états d’âme avec subtilité, mais aussi de rapporter des éléments qui se sont produits ou ont pu se produire (comme pour raconter une histoire). Cela autorise aussi à parler de ce qui va peut-être se produire dans un avenir plus ou moins proche… Bref, avec la langue, cooptation de facultés cognitives déjà impressionnantes et propres aux humains, on peut imaginer, se projeter et se souvenir…
La transmission dans l’espace mais aussi dans le temps !
Or ces capacités d’abstraction sont aussi concomitantes avec ce que Hockett appelle la « transmission culturelle ». Certes, les animaux aussi peuvent s’enseigner différents comportements, mais ils ne peuvent pas partager des connaissances pures dont « l’élève » ne fait pas l’expérience. Avec la langue, les acquis d’un individu, même les plus spécifiques et rarement utiles, peuvent se transférer au groupe. Mieux : une génération peut passer à la suivante toute une somme de connaissances. Ainsi, cette dernière n’aura pas à dépenser son temps et son énergie à maîtriser à nouveau toutes ces informations !
Dans ces circonstances, chaque génération ou même chaque individu peut ajouter au savoir déjà existant, raffiner ce qui a déjà été élaboré, créer de nouvelles choses… Ce qui nous amène à l’état actuel du monde tel qu’il est maintenant : au fond, l’écriture puis l’imprimerie, les systèmes de communication de plus en plus rapide puis internet n’ont été que des variations, de plus en plus puissantes, sur cette transmission des savoirs pratiques comme abstraits, mais aussi de toutes les perspectives que notre intelligence nous ouvrait !
Sans langue, il nous serait impossible de nous comprendre avec subtilité et de travailler dans un but commun aussi complexe que l’élaboration d’un champ de blé ou la construction d’une maison. Sans langue, il nous est même impossible de qualifier nos états d’âme, et de nous qualifier nous-mêmes, en tant qu’individus et en tant qu’espèce…
1 ↑ https://theconversation.com/language-could-be-humankinds-most-impressive-technological-invention-58444